The Frenchman Bruno Bini. La Chine, 17è mondial, qui fait l’exploit de battre les USA à domicile (0-1) quand depuis 11 ans et 104 matches elle s’y trouvait invincible. La Chine, si près et si loin. Que se passe-t-il quand on vient d’Europe et que l’on plonge littéralement dans un autre Monde ? Non pas pour y visiter la célèbre Grande Muraille, mais pour y travailler ; y construire un projet et dans le monde du sport, impitoyable s’il en est, le réussir.

Sans structure, sans holding, sans joint-venture comme la plupart des européens connaissent et développent leurs relations avec la Chine. Uniquement sur sa compétence footballistique, sa qualité d’adaptation, sa compréhension du regard des autres quand on doit comprendre ce qui ne se dit pas dès lors que le langage ne permet pas une communication de tous les instants, Bruno Bini répétera plusieurs fois : « La Chine, veut retrouver ses lustres d’Antan ». Finale de la Coupe du Monde 1999 perdue face aux Etats-Unis, finale des Jeux Olympiques 1996. Quart de finale dans la plupart des compétitions, éliminé à ce stade comme la France au dernier mondial canadien (2015). Battue par les USA sur un petit score (0-1). Le projet est consistant.

La Chine, j’en ai entendu parler. Quand on voit l’immensité, il est impossible d’en faire le tour. Posé dans mon canapé, laissant le temps à l’esprit de situer le contexte, une question évidente me vient rapidement à l’esprit. Comment est-on sélectionné pour devenir le sélectionneur chinois quand, en interne, ils disposent des ressources – en nombre incroyable – pour occuper le poste ? Et là, tu te dis. Quelle sélection ! Bruno me répondra en plusieurs étapes. Sa pensée allant d’un point à autre, mes questions le suivant, notre discussion prenant le fil de l’écoute et de l’amitié. Quelques fois un rire, d’autres fois un sourire, puis j’entends la passion et je découvre le plaisir qu’à Bruno Bini à travailler sur ce projet.

Il le dit : « Je me régale. je suis sur le terrain tous les jours, même deux fois par jour. Et puis, parce que j’ai trouvé les gens qui partagent les mêmes valeurs que moi. C’est très bien. Après, on ne peut pas savoir de quoi sera fait l’avenir, pour l’instant j’ai beaucoup de bonheur à être là-bas. »

Tout au début, comme tout un chacun qui subit une sélection et qui s’installe, inévitablement, il a posé la question de son choix, lui qui ne parle pas anglais, car il restait une quinzaine de candidats dont des « Allemands, anglais, hollandaise ». Donc là, quand j’ai un petit peu discuté, j’ai demandé : « mais vous m’avez pris pourquoi ? la réponse était venue tranquillement : « car j’étais différent des autres. Ils ont trouvé que j’avais beaucoup de coeur et puis que j’avais une grosse carte de visite au niveau international et des sélections nationales. » Après réflexion, dans le courant de la conversation, il confessait une partie de son sentiment sur le plan du football :  » les chinois étaient sous le charme de l’équipe de France à la Coupe du Monde (2011, 4ème), car ils vont à toutes les grandes compétitions, même aux Jeux Olympiques de Londres (non qualifié en 2012) où on jouait très très bien au football (France, 4è des JO en 2012), terminant : « et eux, c’est ce qu’ils veulent pour leur équipe. »

Quand on connait la prudence proverbiale des chinois, inévitablement on vient à se poser la question du processus de sélection. Bruno, comment devient-on sélectionneur de la Chine (depuis Septembre 2015) ? 

« Déjà, il faut passer par un agent.  Il y a un agent qui m’a contacté et je lui ai envoyé un CV avec le projet sur quatre, cinq points et comment je voyais l’histoire. Après cet agent l’a envoyé à la fédération et il y a eu une quinzaine de candidatures finales. Ils ont choisi quatre, cinq dossiers. Je suis allé à Pékin pour un entretien de deux heures, avec 10 personnes en face de toi, d’anciens sélectionneurs, les dirigeants, le vice président. Tu présentes pendant une heure ton projet pour la sélection, et puis après, il y a des questions pendant une heure.

Les entretiens ont duré deux jours ; le troisième jour, je partais… ils m’ont demandé de revenir, le matin à 7h30 avant de partir. Pour un entretien à bâtons rompus sur ma personnalité. Ils m’ont jugé comment j’étais, voilà, et puis après il y a une commission à la fédération qui a choisi le candidat.

J’ai été choisi et c’est mon agent qui a discuté tous les termes du contrat. Ils étaient d’accord à 90 % et je suis retourné pour mettre les 10 % qui manquait ce qui a été assez rapide. 

Et je crois que c’est une qualité incroyable de dirigeants de trouver un personne qui ne leur correspond pas nécessairement (là, européen) mais dont ils voient le talent et qu’ils disent, voilà, c’est la personne qu’il nous faut au bon moment.

Peut-être. J’espère que c’est cela. Après, il y a beaucoup de gens qui ont postulé en vrai. Certaines personnes n’ont jamais postulé, ils ne peuvent donc avoir refusé le poste. Il restait des allemands, des anglais, une hollandaise. Il y avait un peu de monde sur le truc. C’est un honneur d’avoir été choisi. 

C’est un contact direct avec un projet bien déterminé que tu mets ensuite en application.

Pendant 15 jours, j’ai regardé pas mal de cassettes. Je me suis pas mal renseigné sur le football là-bas. Comment cela était organisé pour ne pas arriver en disant, voilà c’est moi ! Ils veulent du concret qui correspondent à leur environnement.

D’ailleurs, elles adhérent à quel projet ? Quand tu es venu, je pense que la qualification pour les JO vous allez la jouer à fond, maintenant elle ne peut pas être acquise car il va y avoir du monde et cela va être de la bagarre ..

Moi je me projette plus sur le temps quoi. Parce qu’en 3 mois, tu ne peux pas dire, partant de la 17è place mondiale, et que l’on va jouer contre le 4è, le 6è et le 9è mondial, la Corée du Sud qui est très proche de nous et seulement deux qualifiés dans la zone Asie les JO, tu ne peux pas dire que l’on va aller aux JO. Je leur ai dit, pour moi, les jeux viennent trop tôt.

Le gros projet, c’est la Coupe du Monde en France en 2019. Pour cela, j’ai signé un 1+3 et dans un an, on se revoit – il fallait que je sache si j’allais réussir à m’adapter, et puis eux aussi – et si comme je le pense, tout va aller comme il faut, on va signer trois ans et mettre en place une grosse machine pour venir en France et faire une bonne Coupe du Monde en France.

Elles ont quelle culture au niveau du ballon ? Tu sens qu’elles ont autant travaillé que les européennes ou alors elles sont dans une phase de découverte du football féminin car en France, -tu connais les français- la Chine semble loin ?

Attends, je crois qu’en France, on est un peu déconnecté. La Chine, il y a 10, 15 ans, elle était 3ème nation FIFA. Elles ont perdu une fois en finale de la Coupe du Monde (1999), Ils ont fait 2ème aux JO (1996) … la Chine, ils veulent retrouver leur lustre d’antan. 

Et tactiquement, elles n’ont rien à apprendre des filles que j’ai eu en équipe de France. Elles sont très disciplinées dans l’organisation. Défensivement, cela coulisse bien. Cela va chercher, cela cadre le porteur.

Après, il faut que l’on arrive à leur faire prendre plus d’initiatives personnelles. En même temps, elles sont très très joueuses ; elles essaient tout le temps de jouer, ce qui fait que des fois, j’ai un peu peur car elles sont capables de repartir en passes courtes dans nos 18 mètres. Je leur explique qu’il y a des zones quand même, où il faut faire un peu attention (éclats de rires). Mais cela part d’un très bon sentiment, en plus cela me va bien car j’adore le jeu en possession.

Quelle est ta découverte au bout de trois mois ? Tous les jours, cela doit être une découverte nouvelle !

Ce qui est le plus marquant, c’est l’immensité du pays. Un ordre d’idées. Quand je vais observer un match à Canton en D2, c’est comme si je faisais Paris-Moscou. Il peut faire -10° à Pékin et à Canton où on est en stage, il fait 26° et on est en short et en claquette et on boit le café à la terrasse du restaurant.

Dans le même ordre d’idées, si tu prends l’avion de Paris et que fais quatre heures, tu vas au Sénégal. Sauf que là, c’est le même pays. C’est le même pays. Après, c’est l’immensité des villes. Pour eux, une ville de 2 millions d’habitants, c’est une petite ville.

C’est une culture différente, c’est reposant car les gens sont plus prévenants, cela ne parle pas fort. Quand je suis avec les filles, c’est un vrai régal. Et je suis souvent avec les filles car on fonctionne comme un club en étant avec les filles de Novembre, Décembre, Janvier, Février à Mars pour des stages et des matches.

Voilà, quand je dis que l’on va faire ça et ca, elles applaudissent et ne se plaignent jamais, toujours le sourire. C’est un autre état d’esprit. Elles sont beaucoup dans la question sur le plan tactique, tu vois ; mais par contre sur les choix de l’entraînement, il n’y a jamais un mot. Il n’y a jamais rien. C’est agréable.

Cette différence que tu as vu dans la pratique, puisque tu connais bien le niveau international, puisque tu n’as même, en fait, quasiment entrainé qu’au niveau international, c’est donc une expérience incroyable de tous les pays et de tous les types de jeu. Quel sentiment ou quel qualificatif pourrais-tu donner de la Chine que l’on connait mal en fait ?

Ce sont des gens travailleurs. Beaucoup. Ce sont des bourreaux de travail. Elles ne se plaignent jamais et elles sont toujours avec le sourire. Toujours dans la bonne humeur.

Depuis que tu es à la tête de la sélection, vous avez gagné contre l’Angleterre, 5è mondial et l’Australie (9è) et maintenant vous venez de gagner contre les USA (1ère mondiale) chez elles, alors qu’elles n’avaient plus perdu à domicile depuis 11 ans et 104 matches d’affilée et pour la dernière d’Abby Wambach. C’est plutôt de la performance. La Chine, c’est quand même un superbe réservoir. Il y a combien de joueuses qui pratiquent le football féminin en Chine ?

On ne peut pas savoir, c’est immense ..

William Commegrain lesfeminines.fr

  • 1/3 ITW exclusif avec Bruno Bini : « La Chine, c’est très sérieux comme projet. »
  • 2/3 ITW Bruno Bini. « On a un effectif pour embêter pas mal d’équipes ».
  • 3/3 ITW Bruno Bini. « Si on fait un coup en France, ce pourrait être un rêve mais ce sera tout, sauf une surprise ».