Près de cinquante ans se sont écoulés depuis l’exploit de Saint-Etienne en Coupe d’Europe (1972-1980). Cinquante années, un bail. Des noces dites « d’Or ». Un mariage médiatique qui, longtemps après, est appris par les générations suivantes, comme on apprend l’Histoire pour l’exploit et la géographie des clubs rencontrés : Hajduk Split (ex-Yougoslavie), Chorzow (Pologne), Kiev (Ukraine), Liverpool (Angleterre), Munich (Allemagne).
Les Girondins de Bordeaux ont failli écrire une histoire dont on n’aurait jamais pu prévoir la finalité ! Face au géant le Vfl Wolfsburg, qui jouait d’ailleurs sa crédibilité d’ogre européen, vainqueur de l’épreuve européenne en 2013 et 2014, finaliste en 2016, 2018 et 2020 ; elles sont allées chercher loin dans notre cœur, à deux doigts de tomber pour toujours se relever.
Gaillardes, présentes, déterminées face au vice-champion d’Allemagne qui n’a survécu que grâce au talent de son internationale polonaise, Ewa Pajor, à mettre au minimum dans le Top cinq européen des attaquantes.
La boulette ! Le scénario tombe rapidement dans le dramatique.
Eve Perisset, 1m61, mis au poste de stoppeur par Patrice Lair quand sa position est celle d’arrière droit, suit à la trace Ewa Pajor que le technicien français a visiblement catalogué comme étant la force offensive allemande à canaliser. A raison, cette joueuse, élue meilleure joueuse européenne du tournoi de l’Euro U17, partie immédiatement sous les couleurs de Wolfsburg, est une teigne qui, à chaque instant, existe dès lors que le jeu offensif de son équipe se manifeste. Elle ne vous laisse jamais respirer.
La française est aussi une teigne défensive. Depuis quinze minutes, elle réussit dans ce nouveau rôle que Patrice Lair lui a attribué. Comme une violoniste du poste latérale, la voilà jouant sa partition de violoncelliste de défenseure centrale, en mesure et dans le tempo. Une forme de sécurité s’empare d’elle. Un œil à droite derrière pour savoir si Pajor la conteste. La polonaise est trop loin.
C’est là que sera le problème. Avec ses vingt quatre ans, Pajor a de la bouteille.
Ne me demandez pas pour quelle raison les coaches ont pris l’habitude de faire jouer les gardiens comme des joueurs. A mettre au féminin. Ne me demandez pas pour quelle raison le jeu repart, court, de notre ligne de but. Ne me demandez pas pourquoi ! Mais comptez les erreurs commises à ce stade et les buts qui en découlent !
Pajor le sait. Il y a du guépard dans cette Louve, elle pointe directement sur la gardienne car Eve a remisé arrière, pour relancer le jeu. Comme à l’idéal.
Anna Moorhouse, anglaise, 26 ans, bonne fille, gardienne nous fait une « ni une-ni deux », je déchire.
Elle voit arriver à tombeau ouvert Ewa Pajor. Son esprit lui commande de ne pas essayer le dribble assassin. Son esprit lui commande « dégage ! » sauf que son esprit se sent si en danger que le geste part avant que la balle ne soit réellement à portée. N’ayant pas l’habitude du duel au pied, elle reste sur place. C’est le bout du pied qui touche le ballon, en fin de course. La balle ne s’élève pas, elle part direction Pajor qui, tel un mur la renvoie dans les buts !
(0-1, 25′). Ni une ni deux, Bordeaux se relance, dans l’embarras !
Ce n’est plus un but qu’il faut remonter pour Bordeaux, 3e du championnat de France sans expérience européenne, face à Wolfsburg, au palmarès étoffé. La calculette de l’esprit affiche deux buts !
Pourtant pas un mot sur le terrain. Cela doit cependant chauffer dans la tête de Patrice Lair.
« Voilà un second but casquette après un premier en Allemagne. »
Le breton ne bouge pas. Bordeaux se relance, se relance mais modérément. Les filles n’arrivent pas à conserver ce ballon. Elles le perdent trop vite, trop tôt. Elles le sentent, individuellement comme collectivement, mais l’envie est telle d’aller plus vite, plus fort, plus haut qu’elles font une petite bouillie de football dans ces trente premières minutes. Heureusement elles rajoutent une superbe motivation, donnant un plat acceptable mais pas assez pimenté pour inquiéter les allemandes.
C’est le moment où les allemandes montrent leur faiblesse. Pressées haut, elles n’aiment pas. Comme de nombreuses féminines.
Doorsoun, internationale allemande, tente un plat du pied raté que Maëlle Garbino (36′), récupère trois minutes après son entrée à la place d’Ella Palis (33′). « Ni une-ni deux », la voilà qui plonge dans le couloir gauche, laissant Doorsoun pointer son numéro affiché dans son dos. Elle envoie un centre ras de terre sur Snoeijs, notre hollandaise qui marche sur l’eau depuis quinze jours. Sa compatriote et adversaire, Janssen, vice-capitaine du Vfl, coupe la trajectoire que sa gardienne, Schult, devait récupérer.
Une balle si bien coupée qu’elle est déposée devant la bordelaise. Trop heureuse de la mettre dans les filets, sans gardienne, plus haut, bras écartés. Janssen, tête baissée.
(1-1, 36′). Ni une ni deux, Bordeaux tient
En football, le mental est très lié aux buts marqués. Huit buts marqués à l’adversaire donnent énormément de confiance quand pour les autres, il est le signe d’une faiblesse adverse. Les buts sont utiles, pas seulement ! Le mieux, pour le moral, c’est la remontada.
Revenir au score, et votre équipe n’est plus la même.
Surtout quand les fans dits Ultras bordelais s’y mettent.
Wolfsburg continue son football, s’insinue, se place, décale mais rien de concret quand pour Bordeaux, tenir est déjà une victoire. Un but bordelais supplémentaire et on assiste à une égalisation parfaite entre les deux teams. Bordeaux joue donc sa partition. De l’envie, de l’envie, de l’envie. Ne comptant pas les pertes de balle.
On commence à sentir une odeur de ring sur ce rectangle vert. Un truc qui correspond d’ailleurs bien au jeu de la capitaine bordelaise. Pour qui la connait, Charlotte Bilbault. Adepte de ce jeu. L’occasion ratée de Pajor est dans les têtes des spectateurs. Chaque action touchant le camp adverse fait exploser la sono de nos ordinateurs, à l’écoute de ce match à odeur de poudre.
(2-1, 66′). Ni une ni deux, Bordeaux mène
L’arbitre renvoie tout le monde dans son coin, soit aux vestiaires. Patrice Lair a du envoyer du bois. Moorhouse est remplacée par Mylène Chavas. Claire Lavogez, milieu offensive, est substituée par Melissa Gomes, avant-centre. Lardez est replacée à droite. Il est rare de voir autant de changements tactiques après un premier acte. Le français doit avoir dans la tête, le but à produire et celui à ne pas encaisser.
Une situation positive. Sippie Folkertsma, la seconde néerlandaise du jeu bordelais, plutôt très bonne sur cette scène européenne, bute de peu à la 47′. Snoeijs n’est pas loin à la 49′. Le cœur français voit bien un but « bleu, blanc rouge ».
Sauf que Lattwein récupère une balle au milieu de terrain et adresse une passe longue à Ewa Pajor (51′). L’attaquante polonaise s’applique à jouer un morceau de talent.
Du côté opposé où défend Eve Perisset. La polonaise, montre sa vitesse. En deux touches de balle, elle est devant Chavas. La jeune française vient d’arriver dans ce jeu et n’a du toucher que deux ballons. Elle sort assez loin, l’angle de la polonaise se ferme. La joueuse ouvre trop. La balle sort vraiment, arrachant un soupir de satisfaction à Vanessa Gilles, cinq mètres derrière !
Le centre bordelais ne va pas aussi vite que l’attaque allemande. L’action ratée le montre, mais visiblement, l’information ne passe pas en Allemagne.
Rares seront les contres allemands. A vouloir dominer, elles donnent du corps à la volonté bordelaise de se défendre et de mettre, aussi, des coups.
L’élixir viendra d’une balle anonyme de Vanessa Gilles, à la bagarre avec Ewa Pajor depuis le retour de la seconde mi-temps. Lui imposant sa force sans entamer la volonté de son adversaire de profiter de la moindre opportunité.
Un centre légèrement touché par Folkertsma, le décalant de son axe. Melissa Gomès, à la technique parfaite, ne se pose aucune question. « Ni une-ni deux », l’internationale portugaise reprend la balle, comme un batteur en base-ball. Pied demi-hauteur, bien armé en arrière, bascule devant prend la balle au passage et lunette bordelaise ! Schult s’en prend un deuxième.
Bordeaux exulte. Egalité du numéro 3 français face à l’ogre allemand ! (2-1)
« Ni une ni deux, » Ne cherchez pas, les téléspectateurs de You tube attendent le troisième bordelais. Le but de la qualif.
Sauf que, à la 89′, Pajor crée la folie dans la surface. Elle est servie à droite. Feinte de frappe sur Gilles, glisse sa balle sur son gauche. Envoie une mine qui normalement doit trouver les filets. Sauf que c’est la barre transversale qui tremble ! A une minute de la fin de la rencontre, la polonaise a envoyé du talent sur la pelouse bordelaise. La balle revient sur une allemande. Inutile de vous dire que tout le monde est dans les choux ! Sauf Sippie Folkertsma qui reçoit la tête de Lattwein .. sur sa tête. Double contrôle de la tête, cage vide derrière et Chavas n’a plus qu’à prendre la balle sans faute. Donnée de la tête.
Là, on approche la folie.
Bordeaux ne peut qu’y croire. A la réflexion, vingt quatre heures plus tard, la force des allemandes, c’est de ne pas avoir douté plus que de raisons.
Ni une – Ni deux, Pajor fait un doublé (2-2, 102′)
Pajor fait encore un numéro. Quand les autres commencent à s’épuiser avec cette prolongation nouvelle, Pajor a toujours la tête à l’exploit. Qui reçoit un mouvement à gauche … Ewa Pajor. Toujours aussi forte et aussi rapide. 102′ minutes de jeu. Que je te prends le ballon, que je l’accompagne en suivant la ligne de la surface de réparation, que je la lance un peu devant moi. Dans une course horizontale et que je croise mon tir. Opposé à ma course. Et que je marque.
Eve Perisset ne veut pas se relever après son tacle inutile.
La polonaise allemande nous fait une célébration CR7. Son visage n’a rien d’amical. Elle exulte.
Bordeaux peut la maudire. Deux matches, trois buts. Cette joueuse, à elle seule, qualifie son équipe.
Là, Bordeaux est éliminé.
Ni une ni deux, Cardia envoie une lucarne (3-2, 119′)
Une défense à trois est organisée avec l’entrée de Cardia au lieu et place de Lardez. On a vu Patrice Lair demander à Vanessa Gilles de s’occuper d’Ewa Pajor. Intéressant, car ce sera un grand duel des deux côtés.
Offensive, elle joue défensive à droite. Qui peut s’inquiéter d’une joueuse placée défensive ? Buteuse pourtant à l’aller, mais entrée en cours de match.
Cardia se promène entre défenseur et milieu de terrain. Dribbleuse de poche, elle a du ballon dans les pieds. Il y a du Bleue dans cette joueuse. Le temps s’égrène. De plus en plus vite, il se rapproche des 120′, fin théorique d’un match. Bordeaux sent ses forces offensives s’amenuiser. Les entrées successives, impliquées, n’ont pas donné plus de qualités aux attaques. Tout se joue au mental pour Bordeaux.
Et Cordia envoie une lucarne extraordinaire à la 119′, une minute avant le terme de la rencontre, remettant les adversaires à égalité.
La polonaise Pajor n’a pu que siffler d’admiration dans ce pied gauche qui vient, à la 119′, chercher la lucarne de Schult. (3-2, 119′). Partie latérale, elle s’ouvre le pied. Voit que son adversaire ne vient pas, pour lui bloquer l’axe. Pied gauche. But. Lucarne de lucarne. Grande et belle horizontale de Schult. Sauf que lucarne de lucarne. (3-2)
Bordeaux est au Nirvana. Les remplaçantes entrent sur le terrain. Sautent sur la joueuse. L’arbitre cherche son stylo pour pointer les numéros. Comme des oiseaux, elles repartent d’aussi belle sans oublier d’avoir crié leur bonheur, leur surprise. A une minute, les bordelaises viennent de prendre l’option tirs au but, jetant à la poubelle, l’élimination. Et en plus, il reste sept minutes d’extra-time.
Un extra-time joué avec professionnalisme par Wolfsburg, sur les genoux par Bordeaux.
Ni une ni deux, les tirs au but.
Après une telle partie, Dieu ou qui vous voulez, doit donner la victoire aux bordelaises.
Sauf que, les tirs au but, c’est affaire d’expérience.
Schult, gardienne internationale, titulaire ce soir quand à l’aller, elle se trouvait sur le banc, dans les buts. Prend de la place. Six fois vainqueur de la Coupe d’Allemagne, vainqueur de la Coupe européenne en 2014. Médaille d’Or aux Jo 2016 à Rio. Plus de soixante sélections. Trente ans. Maman.
Chavas, entrée à la 46′. Venue de Saint-Etienne, Dijon. Vient tout juste entrée chez les Bleues en 3e gardienne. 23 ans.
Les deux pénalties français seront arrêtés par Schult. Cadrés mais la gardienne allemande avait pris possession des cages. La troisième tireuse, néerlandaise, auteure d’un bon match, tira du même côté. Poteau. Schult avait gagné son combat.
Chavas n’a rien pu faire sur les trois pénalties allemands. Elle n’y était pas.
C’est un bon exemple pour Mylène Chavas. Schult, l’a emporté sur son expérience.
Deux joueuses ont qualifié Wolfsburg. Pajor et Schult.
L’équipe bordelaise aura le regret d’avoir été obligée de revenir à chaque fois au score, soit sur le match, soit sur les deux confrontations.
C’est le regret qu’on peut avoir à l’écriture. Et certainement si on avait eu à le vivre.
Mais quel sacré match ! Cette équipe a fait une épopée européenne unique.
Il a manqué si peu que cela vaut le coup d’y revenir. Sans oublier qu’avec le Paris FC et Montpellier, il va falloir y arriver.
William Commegrain Lesfeminines.fr
source Wolfsburg.de
FC Girondins de Bordeaux: Moorhouse (46‘ Chavas) – Lardez (62’ Cardia), Gilles, Berkely, Perisset – Bilbault, Folkertsma – Palis (33’ Garbino), Jaurena, Lavogez (46’ Gomes/112’ Dufour) – Snoeijs (74’ Gudmundsdottir)
Subs: Chavas, Perea, Culver, Haelewyn
VfL Wolfsburg: Schult – Doorsoun, Hendrich, Janssen, Wedemeyer – Oberdorf, Lattwein – Huth, Roord (74‘ van de Sanden), Wolter (80‘ Blomqvist) – Pajor
Subs: Kassen, Weiß, Blässe, Starke, Svava, Knaak
Goals: 0-1 Pajor (25’), 1-1 Snoeijs (36’), 2-1 Gomes (66’), 2-2 Pajor (102’), 3-2 Cardia (119’), 3-3 Oberdorf (penalty shoot-out), 3-4 Pajor (penalty shoot-out), 3-5 Doorsoun (penalty shoot-out)