Le grand huit de Stéphanie Labbé (football féminin, Canada, Or olympique à Tokyo), avec ses médailles olympiques ! 

Stéphanie Labbé ouvre son esprit aux abonnés du syndicat FIFpro (syndicat international des joueurs et joueuses professionnelles). La gardienne, méconnue hors du milieu du football féminin, voit arriver, pendant la compétition, un trouble mental qu’elle n’attendait pas, lui donnant des sensations totalement opposées à l’évènement qu’elle est en train de vivre : une course à la médaille d’Or à Tokyo 2020 et son obtention.

Le Canada dans l’ombre des USA

Rappelons que l’équipe canadienne était outsider dans cette compétition. Pour les titres, elle vit dans l’ombre des USA qui s’accapare toutes les récompenses continentales dans leurs oppositions (huit titres américains pour deux canadiens en 1998 et 2010). Une équipe canadienne souvent éliminées au premier tour, en huitième ou en quart des mondiaux auxquelles elles participent sauf en 2003 (4e). Le Canada a explosé de bonheur en étant double médaillés olympiques de bronze en 2012 et 2016. Sans championnat professionnel, les joueuses jouent soit aux USA, soit à l’étranger (quatre en France).

Dans cet environnement, cet été elles prennent l’Or à Tokyo. Une performance.

L’équipe canadienne gagne ses matches, du bout des doigts, avec une cohésion d’équipe incroyable.

Rien ne laissait présager une médaille d’Or qu’elles sont allées chercher au combat, sur des scores serrées, avec des pénaltys (USA, 1-0) et des qualifications aux tirs au but (Brésil), et une finale remportée aux tirs au but contre la Suède.

Elle nous apprend qu’elle était tellement surexcitée qu’elle n’a pas pu s’entraîner après les 1/4 de finale, vivant même des moments de panique : « Mon adrénaline était si forte et mon système neuromusculaire si bien réglé que j’ai eu du mal à me calmer entre les matchs, ce qui a entraîné des niveaux élevés d’anxiété et de multiples crises de panique. J’en suis arrivée au point où je n’ai pas pu m’entraîner entre les quarts et la finale, tellement j’étais surstimulée. Lorsque le coup de sifflet final a retenti et que nous avons remporté l’or, je m’attendais à un soulagement immense, mais non, rien… J’avais beau vouloir me détendre et faire la fête avec mes coéquipières, je n’arrivais pas à redescendre de cet état d’éveil, et j’ai passé les 48 heures qui ont suivi la finale allongée dans une pièce sombre. Je me suis sentie complètement dissociée de mon exploit. Je n’arrivais pas à gérer les milliers de messages de félicitations, les demandes des médias ou l’impact futur que notre réussite allait avoir dans mon pays. »

La championne olympique, qui peut encore plus que les autres s’attribuer émotionnellement le titre, en arrêtant deux tirs au but en finale, montre le décalage entre l’être humain et la performance médiatique.

Elle termine le constat ainsi : avec le recul, je me rends compte qu’il s’agissait d’une accumulation de tout ce que j’avais vécu l’année précédente – « la pandémie, le changement d’entraîneur, le manque de clarté quant à ma position dans l’équipe. » 

Dire que l’environnement n’a pas d’impact dans le sport de haut niveau,

Une sensation proche en 2016

La gardienne de 34 ans, joueuse récente du Paris Saint Germain, se souvient des effets de sa médaille olympique en 2016 : « Lorsque je suis montée sur le podium pour recevoir la médaille de bronze avec le Canada aux Jeux olympiques de Rio de Janeiro en 2016, je débordais de fierté ; toute l’anticipation et le travail acharné avaient porté leurs fruits et j’avais hâte de rentrer à la maison et de partager ma réussite avec autant de personnes que possible. Mais lorsque tout le monde s’est mis à réclamer la médaille et à parler de cette expérience, j’ai commencé à ressentir un vide intérieur. C’était comme si ce bout de métal valait plus que moi en tant qu’être humain ! » Continuant ainsi : « Sans compétition immédiate dans un avenir proche, je sentais ma motivation retomber. Au fil du temps, j’ai appris à trouver un équilibre dans ma tête entre ce que j’avais accompli et ce que je valais, et j’en suis venue à apprécier de nouveau ma médaille – surtout quand je pense à l’effort physique et mental que j’ai fourni pour arriver à ce stade de ma carrière. »

Pas si simple, être sportive de haut niveau.

Quels enseignements en tirer ?

Le passage de la vie d’adulte, maintenant, se fait sur une longue période pour les générations actuelles.

Il fût un temps où à seize ans pour les plus précoces, à vingt trois ans pour d’autres, on assimilait tous les indicateurs de la vie d’adulte : études ou pas, service militaire, profession, CDI, engagements, vie personnelle, famille, enfants. Cette construction que nos parents trouvaient pourtant longue, porterait à l’étonnement aujourd’hui, quand on s’aperçoit que tous ces indicateurs ne trouvent réponses que vers trente à trente cinq ans.

Souvenez-vous ou imaginez, suivant votre âge, qu’à vingt-cinq, on fêtait les filles non-mariées en les appelant « catherinettes ». Il fallait qu’elles s’expliquent et se justifient !

On s’aperçoit que toutes les grandes questions de la vie se posent maintenant pendant cette longue et nouvelle tranche d’âge d’adolescence : l’amour, le partage et la construction d’une vie personnelle, la réussite personnelle et professionnelle, puis la construction d’une famille pour transmettre et créer une forme de trace dans notre existence. Un parcours si long, difficile ou facile, qui ne peut que faire connaître des périodes de haut et de bas.

Emportés par l’insouciance, les opportunités, les erreurs, les errements. L’adolescence, peut être jusqu’à 35 ans !

L’adolescence, une période d’émotions

Un phénomène culturel mondial que les sportifs de haut niveau passés ne connaissaient pas. Leur performance (18-35 ans) se faisait alors qu’ils étaient intégrés dans le monde des adultes. Aujourd’hui, la performance sportive se fait dans cette très longue période d’adolescence.

L’adolescence, c’est cette période où on agit sans chercher un enseignement dans le passé, et sans se préoccuper de l’avenir. L’adolescence est aussi une période où chacun est sensible au regard et à l’image qu’il renvoie aux autres. « C’est le regard d’autrui qui nous confère notre identité à l’origine, ainsi que le plaisir de voir et d’être vu ! » 

Sauf que dans le sport de haut niveau, nos performance ou échecs, sont détaillés au vue de tous. Dans un univers, où on affronte les meilleurs et meilleures de chaque discipline. La réussite est, obligatoirement, une rareté.

Inévitablement, notre regard doit changer si on veut les comprendre ou les aimer, plus ou autant, comme de les apprécier.

La réussite ou l’échec, n’est plus le sien mais celui des autres.

Tout va à peu près bien quand la médiatisation ne vient pas trop se frotter à ces quinze années exceptionnelles de vie.

A l’opposé, je ne vois pas, quand les lumières suivent chacun de vos pas, de vos mots, de vos regards, comment on peut attendre que ce long passage de vie se fasse sans souci d’état d’âme, pour tous et toutes ?

C’est tout simplement impossible.

D’autant quand l’athlète se rend compte que sa performance, bonne ou mauvaise, devient celles des autres. Anonymes, nombreux, exigeants, mordants. Exubérants.

Le souffle court, le corps juste apaisé, et le journaliste fait immédiatement appel à l’état d’esprit de la sportive, son état d’âme, sa sensation. Comment peut-on se livrer réellement quand tout peut venir à son esprit, du plus rationnel au plus incongru. L’esprit. Qu’est-ce qu’il y a de plus personnel que son état d’esprit ? Le coffre-fort de son émotion, qui là, est sollicité, par un inconnu pour d’autres inconnus. Car demandés.

Alors dire que la tête n’existe pas dans le sport de haut niveau, c’est prendre un sacré risque de crédibilité.

Naomie Osaka allumant la flamme olympique – crédit Paris.maville.

C’est ce que nous montre Naomie Osaka (actuellement 23 ans) quand, d’une tristesse absolue de se sentir tant en décalage avec un geste qui, au fond d’elle, devrait l’emporter vers la joie, elle allume la flamme olympique des jeux de Tokyo 2020. Joués en 2021, dans son pays dont elle a choisi la nationalité, pouvant être américaine depuis qu’elle vit aux USA dès ses trois premières années. Voire Haïtienne par son père.

C’est ce que nous dit Simone Biles, (24 ans), multiples titrées en gymnastique (7 médailles olympiques, 25 médailles aux championnats du monde depuis 2013) dont l’esprit lui donne rendez-vous avec des souvenirs d’agression sexuelle officialisées dans l’équipe américaine et qui doit affronter les revers d’une enfance, la réalité de son parcours du moment, alors que le monde lui demande de la performance : être meilleure que les meilleures.

Les sportives de haut niveau sont, normalement, dans l’adolescence.

J’ai en mémoire, une anecdote personnelle. Avant un match de la Coupe du Monde féminine 2019 au Parc des Princes, j’étais allé manger une salade à la piscine Molitor, se situant à quelques pas. A côté de moi, j’ai reconnu une joueuse de tennis française. Roland Garros se jouait. Elle était seule. Un jeune homme arrive, s’installe à côté d’elle. Elle lui parle, veut échanger sur des moments vécus. Le jeune homme ne la calcule pas. Une sonnerie de téléphone. Il la quitte dans l’instant. C’était incroyable de voir la trace que cette indifférence du moment a laissé à cette jeune femme. Elle communiquait un vide total. Dix minutes après, il est revenu. De la même manière. J’attendais un cri de colère, une opposition, un regard noir. Le silence d’un instant qui laisse deviner l’effroi du lendemain. Rien. Elle a continué à essayer d’échanger. Adolescente ou adulte ? Quelle trace a laissé ce moment ?

Emma Raducanu, prise en photo à l’US Open 2021.

Dernièrement, la jeune vainqueure de l’US Open (dix huit ans), Emma Raducanu vient d’annoncer, deux semaines après son succès, qu’elle quitte son entraîneur d’origine et qu’elle avait repris récemment, quelques semaines avant l’US open, Andrew Richardson. « Après avoir affronté les meilleures joueuses du monde, j’ai l’impression que ce qu’il me faut vraiment, c’est quelqu’un qui connaît le circuit WTA, et qui a l’expérience du haut niveau, a expliqué Raducanu. Ce qui veut dire que je recherche un entraîneur qui a été à ce niveau, et qui sait ce que cela implique. » Fermez les guillemets et les bans. Même le pire des licenciements pour la faute la plus lourde n’utilise pas ces mots et commentaires.

Réactions d’adulte ou d’adolescente, ne se préoccupant des effets d’un tel rejet auprès de ladite personne qu’elle avait sollicitée ?

Comment proposer une solution en si peu de temps ?

Stéphanie Labbé a largement passé le cap. Elle est ouvertement LBGT, a annoncé sur Instagram que sa fiancée lui avait dit « Oui » au mot mariage. Elle se fiche du regard. Elle est.

L’était-elle autant quand, en 2018, elle avait attaqué la fédération canadienne (Premier Development League) qui ne voulait pas la faire jouer dans une compétition masculine amateure alors qu’elle avait signé avec Foothills de Calgary ? Sachant très bien que le résultat serait du bruit médiatique plus qu’un accord.

Peut-être que pour les jeunes sportives, il faudrait les aimer, les apprécier, non pas pour ce qu’elles réussissent (adultes) car elles ne réussiront pas souvent, mais pour ce qu’elles essayent toujours de réussir, d’entreprendre !

Leur offrant la possibilité de toujours grandir.

C’est le principe de l’adolescence. Grandir.

William Commegrain Lesfeminines.fr

Source : article FIFPRO à lire ci-après (ici)