Ce match, cette demi-finale de la Coupe du Monde 2019 va se jouer comme les notes d’un piano qui chante. Les notes s’enfilent 10 fois plus vite, fortes de dix doigts qui effleurent le clavier. Deux équipes qui jouent en plus, un football Formule 1, à très grande vitesse n’oubliant pas de passer par les détours des Rallyes qui bousculent, chavirent, retournent la tête et l’esprit, à deux doigts de la sortie. Sans jamais sortir.

Deux équipes qui n’ont aucune raison d’être là. A ce stade. Sauf à jouer un football libre que plus personne ne joue.

Il faut dire qu’elles viennent de si loin dans la hiérarchie du football qu’à ce stade, tu ne te poses pas de questions. Tu joues avec tes qualités et pour le reste tu luttes contre celles des autres.

Les Pays-bas parties de loin en 2015, veulent poser leur drapeau sur la TOUR EIFFEL

Un petit pays qui a débarqué au Mondial canadien sur la pointe des pieds. Sorti en 1/8e de finale de la compétition. Heureuse pour cette première participation historique. Un pays sans championnat significatif qui avait la tête à l’organisation de l’Euro 2017 et dont la seule médaille était l’Euro U19 des jeunes de 2014. Une Vivianne Miedema (18 ans), tout juste sortie de l’adolescence, co-meilleure buteuse (16 buts) avec Gaetane Thiney de la phase de qualification européenne comme « star » en devenir potentielle.

Et puis le premier coup du destin. La Grande-Bretagne ne s’accorde pas. La 3e place anglaise ne devient plus une place Olympique. En urgence, l’Europe organise un play-off à quatre équipes : Norvège, Suède, Pays-bas, Suisse. La Suède prendra le ticket et les Pays-bas regarderont les JO à la TV en 2016, tête à 2017.

2017, la révolution néerlandaise. 2016, l’année où rien ne gagne. Les Pays-Bas prennent le bouillon. L’Euro arrive. La cuisine n’est pas bonne et à six mois de la compétition, les patrons de la KNVB, déjà la tête dans le sac avec les hommes qui ne se qualifient plus pour le Mondial 2018, décident de changer de coach. Sarina Wiegman prend la sélection et tout se transforme. Elle trouve les mots, la force et le jeu Oranje va faire briller les yeux de tous les spectateurs et téléspectateurs de l’Europe.

Une finale de feu remportée face au Danemark, et le football féminin passe à l’Oranje. La référence. Deux ans plus tard, les pépites néerlandaises sont à Barcelone, Arsenal, Lyon, Wolfsburg. Lieke Martens devient la meilleure joueuse du Monde en 2017 et Sarina Wiegman remporte le trophée des coachs féminins.

Une ascension fulgurante qui aurait pu s’arrêter à l’Arc de Triomphe. Sauf qu’en France, il existe la Tour Eiffel. Bien plus haut. A l’image d’un mondial, les Pays-bas jouent un football qui correspond au ticket gagnant demandé au pied de la Tour pour accéder au 3e étage. 300 mètres plus haut. Pas à la hauteur d’un mondial masculin, mais pas mal pour un mondial féminin et bien suffisant.

Alors, les Pays-Bas sont au pied de la Tour. Bien décidées à monter tout en haut.

La Suède ? Trop souvent interdites de soirées disent : « Champagne ! Champagne ! »

La Suède, au passé flamboyant, boit du petit lait depuis trop longtemps quand les autres sont au champagne. Finaliste mondial en 2003, finaliste Euros 1987, 1995, 2001. Finaliste JO 2016. Finalistes et un seul titre : Euro 1984. Le reste est fait de podiums.

Attendre, attendre quand on a la vitesse de Jakobsson et Balckstenius, c’est rouler avec une Aston sous les 130 des autoroutes françaises. A un moment, ce n’est plus possible et la Suède, en 2019, en a assez d’attendre.

D’autant que 2019, pour une fois, ne tourne pas comme d’habitude.

En 2015, les suédoises avaient laissé leur santé et leur souffle face aux USA en phase de groupe. Passé quatrième et dernière meilleure 3e de la compétition, elles étaient restées scotchées au port de l’Espoir. Bien collées au désespoir après une 3e/4e place à l’Euro 2013 qu’elles organisaient.

2016 et la qualification aux JO sera encore pire. En play-off, du bout des lèvres ou plutôt du dos. Caroline Seger, la capitaine emblématique, marque un but du « dos » qui qualifie les Bleues et Jaunes et les suédoises prendront l’Argent en jouant un football de défense qui éliminera les USA quand même en quart (5 médailles d’Or). Le même football que celui de l’Allemagne avec Sylvia Neid, qui prendra l’Or.

La Suède joue en respectant les 80 d’Edouard Philippe et prend les départementales pour aller dans les grandes compétitions. Un chemin pris par la référence Pia Sundhage. La plus américaine des suédoises, mais on sait tous que les routes américaines sont très calmes alors que le talent des pilotes du Nord de l’Europe est d’associer vitesse et sang-froid.

Peter Gerhardsson a du Bruno Bini dans son attitude. Il compte sur l’expression des joueuses et leur donne la liberté qui va avec. On verra ce que cela donnera. La défense défend et l’attaque attaque. La défense défend très bien et l’attaque attaque très vite et très bien.

Avec cela 2019 ne tourne pas comme d’habitude. D’abord, le passage avec le groupe des USA se passe correctement malgré une défaite (2-0) mais un contenu sécurisant. Puis une victoire jamais obtenue depuis 24 ans face à l’Allemagne, habituelle adversaire européen leur fait toucher l’émotion de la confiance.

La Suède change son moteur. Elle joue sur le fil, vitesse et sang-froid. Prête à bondir. A la limite d’un jeu animal. D’abord les qualités en premier.

Deux pays européens pour un duel avec les USA.

Et là, cette demi-finale avec les Pays-bas, il y a un adversaire au potentiel proche. Vitesse, jeu vers l’avant. Des défenses qui défendent sur le fil des balles bloquées sur la ligne pour repartir de l’autre côté. Tout se jouera sur la faiblesse de l’une et notre coeur sera à l’ouvrage.

Un match, qui nous jouera sans souci les 88 notes du piano de notre coeur. Passant du grave à l’aigu, de l’aigu au grave. Des noires des blanches. 88 coups de coeur qui se balanceront et qui feront 180 pulsations minutes en plein effort. Nous faisant redescendre sous les 60′, et repartir de l’avant. Et redescendre.

88 touches, 88 émotions. Et quelques buts. A mon avis, des buts de folie.

Quand on est les Pays-Bas et la Suède, on n’a qu’une envie. Aller vers le pétillant. Champagne ! Et rien d’autre.

William Commegrain Lesfeminines.fr