L’Allemagne n’est plus l’Allemagne. « Ist es möglich? » (Est-ce possible ?).
Après avoir été mené par l’équipe de Didier Deschamps (1-2) pour n’égaliser que dans la dernière minute de jeu (2-2, 93′), l’équipe championne du monde 2014 avait failli manger le vert de la pelouse du RheinEnergieStadion de Cologne face au vice-champion d’Europe 2016.
Après avoir vu Angela Merkel, la chancelière allemande, obligée à réorganiser des élections législatives pour former un gouvernement faute de consensus dans le pays qui pratique cette vertue de la négociation comme une corne d’abondance, l’ayant mené au plus haut niveau politique et économique mondial et qui a du mal à dire : « nous n’aurons pas de gouvernement avant Pâques ! ». L’Allemagne, sans gouvernement. Du jamais vu depuis 1949.
Voilà l’Allemagne de la Mannschaft de Steffi Jones qui se désagrège sous les coups de colère de Léna Goeβling (31 ans, Vfl Wolfsburg), cantonée à rester à la maison. Non prise dans la sélection de Steffi Jones, lui ayant dit, dans une discussion « face à face » qu’elle ne lui apporterait pas assez de qualité défensive, pour finir par conclure qu’elle ne pourra pas aider Jones dans ce match ».
La pilule passe très mal du côté de l’internationale allemande (91 sélections), joueuse de la Mannschaft lors des qualifications et de l’Euro 2017, et titulaire dans le club, double vainqueur de la Women’s Champions League qui s’exprimait ainsi après la rencontre gagnée contre la Fiorentina en 1/8e de finale. «C’est irrespectueux envers moi, je ne l’ai pas mérité. ….. Elle [la sélectionneure] m’ a parlé de ses raisons. Des raisons que je ne peux pas comprendre.»
Lena Goeßling est née à Bielefeld où le match a lieu. Elle est une des trois joueuses sur l’affiche du match. Il y a quelques jours encore, le DFB offrait par twitter au plus grand groupe de spectateurs -comme récompense- un entrainement avec Lena Goeßling.
La joueuse ne manque pas de culot. Elle argumente et se défend, ce qui fait les gros titres des journaux allemands . Même le très sérieux « Der Spiegel » s’y met : «Dans la sélection je joue en défense centrale. Au club je joue numéro six – et me dire cela comme raison…» pour conclure : « Au club je fournis ma prestation et après une longue pause pour blessure, je suis revenue. Entendre que mon comportement défensif n’est pas assez acceptable est quelque chose que je ne peux pas comprendre.» Tout est dit, même l’affectivité entre dans la discussion, ce qui est rare de ce côté du Rhin quand on est en situation professionnelle : « Je suis deçue et triste, parce que c’est un match à domicile devant ma porte. »
Fermez les guillemets et fermez le banc ! Il y a de la tension en Allemagne.
Les sélectionneurs ont la pression, ils prennent des décisions.
Il est très loin le temps où les joueuses pouvaient faire une équipe, avec deux trois mots et quelques précisions. Ce n’était jamais totalement vrai. Ce n’était jamais totalement faux. Le football féminin s’accommodait de ces consensus non-dits. La performance était là. D’un regard, les choses étaient dites.
Aujourd’hui, le football féminin est sous la lumière -certes tamisée- mais de plus en plus crue des médias et des obligations de performance, avec une augmentation des actrices qui ont aussi des armes à faire valoir et surtout des sélectionneurs qui se rendent compte que le bail quasiment emphytéotique (en droit français de 18 à 99 ans) qui leur était accordé à la tête des sélections se transforme progressivement en CDD (Mark Sampson pour l’Angleterre, Olivier Echouafni avec la France, Bruno Bini avec la Chine, Emery Lima avec le Brésil, etc..) même dans les équipes du Top 10 mondial.
L’Allemagne, deuxième mondial, après les 14 ans continus de Silvia Neid, commence à voir poindre le problème. Le président de la fédération allemande, lui-même, Reinhard Grindel, forte de 7 millions de licenciés, met la pression sur la nouvelle et pourtant légendaire sélectionneuse, Steffi Jones, président de comité d’organisation de la Coupe du Monde 2011 et à la tête de la sélection depuis seulement 2016 : «Dans la phase de la qualification les prestations de la sélection n’ont pas été améliorées, mais se sont détériorées. Cela ne sert à rien de tourner en rond pour affirmer cela. » C’est ainsi qu’il s’est exprimé publiquement sur une chaîne de télévision allemande lors de la mi-temps du match Allemagne-Îles Féroé. Terminant avec les points de suspension d’usage : «… on va bien analyser les prochains matches pour voir si nous croyons à une augmentation de la performance, que nous attendons en évaluant si elle est suffisante pour la qualification au Mondial 2019″.
L’élimination en quart de finale de l’Euro 2017 est passée par là. Pour une équipe qui avait remporté les huit dernières éditions. La défaite à domicile face à l’Islande contre la 20e équipe mondiale a certainement fait déborder le vase.
Selon Der Spiegel, Steffi Jones comprend la déception de Goeßling, «Cependant c’est seulement la sélectionneure qui décide sur la sélection». Réponse « du berger à la bergère ». Sauf que là, on s’adresse au »chef des bergers ».
Un bon avant-goût de l’ambiance… «J’ai pris cette décision avec mon staff pour des raisons sportives et j’ai expliqué ces raisons à Lena dans une conversation personelle. Malheureusement il y a toujours des situations où la sélectionneure doit prendre des décisions impopulaires.»
Fermez les guillemets et fermez le banc ! Il y a des décisions en Allemagne.
A l’évidence, le match contre la France n’aura pas la couleur d’un simple match amical.
William Commegrain lesfeminines.fr avec Gerd Weidemann pour les articles et la traduction.