Le 21 mai, nous étions quelques amis à manger avec Bruno Bini, au soleil d’une terrasse d’un café parisien, en attendant le match entre le PSG et Juvisy, pour la dernière journée de championnat de D1F. La discussion allait bon train, souvent dans l’humour, à raconter ce qu’était la Chine d’aujourd’hui sans que le « Frenchman » n’ait à connaître ce qui concernait la France de maintenant.
Il me semblait voir à quel point, quand on entre dans un pays, on y découvre le sens profond de ce qu’il est. J’enviais cette connaissance qui venait de la réalité et non pas des mots et me disait que ce métier de coach professionnel pouvait être un métier de vagabond des fois avec tant de diplômés pour si peu de postes, comme d’autres fois, un métier d’aventurier.
Je l’avais sollicité auparavant pour un entretien qu’il n’avait pas envie de donner, car l’Homme n’a pas la parole facile au contraire de ce que pensent certains et puis, avant son départ de France, un message pour convenir d’un RDV téléphonique. Pris par mon environnement d’enseignant en pleine notation et évaluation, je bénie l’enregistreur que j’ai habituellement sur moi et sur une table, dans une salle anonyme, nous nous prêtons au jeu des mots et des vérités.
Un peu moins d’un mois s’est écoulé depuis. J’attendais le sens de l’actualité. La proximité des JO m’interpellait. Et si nous apprenions à mieux connaître la République Populaire de Chine ?
LA CHINE se qualifie pour les JO. Un exploit authentique.
Bruno, comment a été vécue cette qualification aux Jeux Olympiques ?
Bruno Bini a pris la sélection chinoise en Octobre 2015.
« La qualification, personne y croyait car c’était mission impossible. Il faut se remettre dans le contexte. On était 17è mondial avec la Corée du Sud qui était avec nous et le Vietnam plus loin, mais il y avait l’Australie, 9è ; la Corée du Nord, 6è, et le Japon 4è. Deux tickets qualificatifs, le tout au Japon avec 5 matches en 10 jours.
Personne ne pensait se qualifier et cela a été vécu comme une grosse fierté. Surtout la victoire face au Japon (2-1) car les matches entre la Chine et le Japon sont toujours une histoire de suprématie, un petit peu. »
Il convient de savoir qu’en football féminin, les victoires des challengers sont très rares. En amical la Chine avait fait l’exploit de gagner face à l’Angleterre (5è Fifa) et match nul face à l’Australie (9è).
La concurrence avec le Japon a un certain sens. Dans la période 1990-2000, soit le début du football féminin international, la Chine était un des leadeurs mondiaux. Elle a vu la Corée du Nord dans un premier temps puis le voisin japonais lui passer devant dans la période 2010 – 2015 et a perdu sa suprématie en Asie. Dans cette zone, le Japon était devenue l’équipe leadeur.
Les Jeux Olympiques sont devenues une Histoire Chinoise.
« En Chine, la caisse de résonance a été impressionnante car pour la Chine, les Jeux Olympiques sont bien plus importants que la Coupe du Monde. Cela fait six mois qu’à la Tv, il y a des clips sur les Jeux olympiques et les médailles. C’est vraiment le truc par excellence.
D’ailleurs, tous les deux ans, il y a des Jeux Nationaux et ce sont les JO de la Chine. Il y a des jeunes et cela sert de détections et c’est très important pour la Chine. »
Phénomène de l’Histoire, la Chine découvrira les JO en 1984 à Los Angeles ! Pour ne plus s’en séparer. La Chine a obtenu les JO de Pékin 2008 en 2001. Elle avait lancé un programme incroyable qui lui a permis d’obtenir, sept ans plus tard, 100 médailles et la 1ère place avec 51 médailles d’Or face aux USA (36) doublant son chiffre d’Athènes 2004, avec 63 médailles dont 32 d’Or.
« Les filles ont gagné quelques lettres de noblesse et elles sont devenues les Steel Roses. Les Steel Roses, c’est le nom qui avait été donné aux féminines au moment où elles sont allées deux fois en finale : en 1996 avec les JO et en 1999 avec la Coupe du Monde.
Vis à vis du public et des médias, on n’est plus l’équipe nationale mais on est les « Steel Roses ». Et cette différence est extrêmement importante. Par exemple, on est beaucoup suivi quand même et lorsque nous avons fait notre match amical face au Costa Rica, il y avait quatre cent supporters qui nous attendaient, déjà, à l’aéroport. »
Les quatre derniers matches de préparations se sont fait devant 21.000 et 32.000 pour le Costa Rica ; 12.500 et 31.000 face à la Thaïlande. Ce sont des chiffres à hauteur des affluences aux Etats-Unis, Allemagne, France. Les trois premières équipes mondiales.
On se projette sur 2019. L’Objectif des JO est d’être en quart de finale. Après on verra.
Bruno, quels sont les espoirs attendus ?
« On se projetait pour France 2019. Un objectif à moyen et long terme. Alors, les JO sont peut-être un accélérateur. L’objectif, c’est de stabiliser l’équipe dans le Top Huit mondial dans les compétitions internationales. Donc, c’est de sortir des poules à chaque compétition.
Il faut être en quart. Après, sur les matches tout peut arriver. Cela dépend de tellement de choses ! Si tu joues les Etats-Unis, ce n’est pas pareil que si tu joues un 2ème ou un 3ème. Les objectifs sont clairement identifiés. »
La Chine a été éliminée du dernier mondial (2015) par les USA en quart de finale (1-0) sur une prestation où la fatigue commençait à se faire sentir. Pour les féminines qui sont moins athlétiques et habituées au professionnalisme que les hommes, renouveler des matches de haut niveau tous les trois jours a une incidence sur leur performance dès la sortie des phases de groupe.
Comment les joueuses ressentent cela ?
« Les joueuses, elles n’ont peur de rien. face aux Etats-Unis, alors que l’on perdait 2-0, elles sont venues me voir et elles ont dit : « elles sont plus fortes mais on a pas peur ! ». Elles ne sont pas inhibées par l’enjeu. »
La seconde opposition face aux américaines a été l’occasion d’un exploit pour la Chine (0-1) qui a mis fin à onze d’années de matches sans défaite aux USA dans leurs rencontres à domicile.
Mais pourquoi jouent-elles au football ?
« Il faut savoir que le football en Chine est le sport numéro 1. Il en y a partout. Le Basket, le Tennis de table et le Badminton viennent après. C’est par rapport aux Jeux Nationaux où elles sont détectées dès 13 ans. A la TV, c’est beaucoup de foot, de basket. Football allemand, anglais, chinois mais très peu de football français. Basket Américain et chinois. Badminton et Tennis de Table et le Volley, car il y a une bonne équipe de volley féminin. Il y a aussi beaucoup de snookers. Les sports où brillent les chinois. Normal. »
La Chine a envoyé dans les années 2000, un basketteur de 2m29 (145 kgs), Yao Ming qui a été le 1er asiatique en NBA (9 saisons aux Rockets d’Houston). Devenu une star, maintenant retraité.
De son côté, l’équipe de volley féminin a été triple championnes du Monde et est Championne d’Asie en 2015. L’équipe de football féminin a été deux fois finalistes d’une compétition internationale : les JO de 1996 à Atlanta pour la 1ère édition du football féminin et le Mondial de 1999 aux Etats-Unis, après avoir organisé le 1er mondial en 1991 puis celui de 2007.
Comment allez-vous vous préparer ?
La Chine dispose de moyens similaires aux américaines dans le sens où la priorité est donnée à l’équipe nationale. C’est elle qui fixe son organisation et les équipes de clubs s’adaptent.
« Nous, comme on est moins fort que les autres, on travaille plus. on est rassemblé à partir de Lundi prochain, c’est à dire que cela nous fera deux mois. Avec un match le 3 et le 6 contre la Thaïlande. Après, il y a un match de championnat le 8. Ensuite, on les a 10 jours en stage à Quiandao, qui est un complexe en bord de mer avec des terrains partout, des salles de musculation partout, à l’échelle du pays. On va faire des examens médicaux et un peu de régénération.
Ensuite on vient trois semaines en Alsace. Le 14 on est sur Paris, le 16 on joue la France à Charlety et ensuite le 20, toujours à Charlety, le Canada.
Le 21, on part à Sao Paulo car le Bureau Central des Sports a privatisé un complexe sportif qui est à 1 heure de Rio en avion, un peu comme le Pré Catelan à Paris où tous les athlètes chinois qui vont venir aux JO, se serviront de ce centre, de ce sas, pour peaufiner la préparation, tranquille, avant d’aller au village Olympique. Ce sera un moment fabuleux car on pourra se retrouver ensemble et échanger. »
Cela va faire une belle dynamique ? Ce match face à l’équipe de France, c’était pour éliminer toute médiatisation excessive plus tard ?
« On se prend pas la tête. On a pas de pression. Le match contre l’équipe de France (avantages/inconvénients). Pour moi, c’est un match de préparation. On a profité que l’on était en stage ici et cela nous a évité d’aller à l’étranger pour faire des matches amicaux. C’est bien que le Président de la Fédération ait accepté cela et qu’il ait accepté aussi de nous organiser Chine-Canada.
On a tout sur place. On est bien et on va profiter de se préparer sereinement.
Tu sais, les médias pendant les jeux, c’est tellement réduit à une petite portion. Avec le CIO, les médias ne sont pas tous les jours au stade. Après on attaque tous les trois jours. Tu as des jours de récupération où il n’y a pas de points presse. Le lendemain, tu as conférence de presse avant match, après le match et après, c’est tout. »
Le village, c’est quelque chose !
La France, en 2012, n’avait pas pu vivre dans le village olympique, jouant dans le Nord de la Grande-Bretagne, éloignée de Londres.
« On joue les deux premiers matches à Rio, donc on est au village, le 30 Juillet en tenant compte qu’il y a une acclimatation au village qui est importante à faire car pendant un ou deux jours, il faut tenir compte que tu ne peux pas travailler car tu papillonnes de partout.
Ne serait-ce que de voir des stars. »
La fête est courante dans ce lieu réservé aux athlètes. Dès que les épreuves de chacun sont terminées, alors la fête commence.
Le tour de France, la carte postale de la France à l’étranger.
J’ai l’impression que tu as pris « l’esprit chinois ». Qu’as-tu en mémoire de cette culture ?
« Tu sais, je crois que l’on était fait pour se rencontrer. J’ai pris et ils ont pris un peu de moi aussi. je fais mon petit bonhomme de chemin et je ne regarde ni la TV, ni ne lit les journaux chinois. Car je ne le comprends pas encore.
Sinon, je prends un exemple. Paris, c’est un périphérique quand Pékin, c’est sept périphériques. Après, un match dans une région chinoise, par exemple Paris-Canton, c’est comme si je faisais Paris-Moscou. Et souvent, quand tu arrives dans un aéroport régional, souvent il faut faire 1h à 1h30 de voiture ensuite pour voir un match.
Avec le gigantisme des villes et quand tu fais un match, tu peux avoir quelqu’un qui te dit que tu es dans un bassin de population petit … de 7 millions d’habitants. »
Et la Chine, que pensent-ils de nous ?
« Et bien tu vas être surpris. J’en parlais avec un ami avec qui je déjeunais et qui travaille dans le sponsoring du cyclisme.
Le rêve des chinois aisé ce serait d’habiter dans un village, comme les villages que nous voyons avec le Tour de France. Eux qui ont des Tours d’une centaine de mètres de haut, ils voient la France comme cela. Je suis sûr que les gens du Tour de France serait surpris d’entendre cela. »
Le Tour de France, c’est la carte postale de la France à l’étranger.
William Commegrain lesfeminines.fr