Quand Nelly Guilbert feuilletera son album photo de la Juv’91 avec ses enfants, nièces et neveux ; elle ne tournera pas les pages car la fille est modeste mais à chaque page tournée par ses bambins, elle répondra : « j’y étais ! » et les bambinis, passeront de la joie de voir leur mère, tante, sur les premières photos jusqu’à l’étonnement d’avoir toujours cette réponse si vraie : « j’y étais ! » même après la 250è page de ce roman.
Alors ils léveront leurs grands yeux plein d’innocence vers la jeune femme aux yeux si rieurs et souriants. Et puis l’un, plus naturel que les autres, laissera échapper une phrase : « mais tu y étais tout le temps ! ».
Alors l’ex-joueuse intraitable en défense de la Juv’91 ne répondra pas. Elle rigolera. Et au fond d’elle, elle sera heureuse, pleine de bonheur. Contente à l’idée que la médaille du genre humain vient de lui être décernée par des enfants : la reconnaissance de ce qu’elle a été. Et si les enfants lui parlent et l’aiment tant que cela : la médaille du genre humain qu’elle est encore maintenant.
Nous sommes en zone mixte. Le match est terminé. Les joueuses de Juvisy se sont réunies pour saluer des départs. Des fins d’activité. Jean Besse, Elle et Amélie Coquet. Des filles qui connaissent chaque respiration de ce club. Chaque histoire et dont chaque mur blanc, chaque porte de vestiaire, chaque bruit a une histoire, une date, un moment.
Un passé qui est en elles et qui devient un présent.
Nelly Guilbert saute ! Elle fait un pogo ??! Normalement dans un départ, on est triste. On pleure. Des mots partent. Le regard se perd. On a tous vu cela, dans les films sur les quais de gare. Elle, elle saute. Elle rit. Elle chante.
Cette fille est différente.
Les filles de Juvisy lui ont donné le brassard. Elle le porte. Les filles de Juvisy lui ont donné la parole, elle qui rarement la prend. Voire jamais. Quand elle arrive, elle est comme dans un match, une boule de vie. Heureuse. Je pense à la fois où elle a refusé de répondre à mes questions. Pas envie. Je vois la vie. La première question part :
« 5-0, c’est pas mal du tout. C’est génial. On aura eu une belle journée avec une envie de jouer particulière aujourd’hui car on a eu des évenements dramatiques dans la semaine. on avait à coeur de se faire plaisir et de se redonner le sourire avec une victoire contre Guingamp. Chose faite. »
Combien d’années à Juvisy ? « 17 ans ! ». Rapide calcul, elle était là en 1999. 17 ans au même club dans le football masculin, impossible ! 17 ans dans le football féminin, encore possible. Quelle histoire !!! « Belle histoire, très belle histoire. » Est-ce qu’il y a des événements qui vous reviennent ? « Il faudrait des heures. Le premier titre de Championne de France, moment magique. La première qualif pour l’Europe évidemment. Des moments tous simples avec mes copines dans le vestiaire, sur le terrain. Des fous rires, par çi, par là car il y en a beaucoup. Beaucoup. Tous ces moments que je passe avec ce club, cette famille. Toutes ces personnes au sein de ce groupe, je les tiens dans mon coeur sincèrement et toutes ces personnes le savent bien ».
L’émotion est là. Si je le retranscris, loin de moi la volonté d’écrire que les questions doivent susciter émotions et qu’à ce titre, elles sont supposées, bonnes, qualitatives. Non, j’ai trop de respect pour les gens. Si les personnes ne souhaitent pas répondre, alors il convient de s’effacer, simplement, sans humilité mais avec vérité.
Non là, l’émotion de Nelly Guilbert est belle à entendre car on entend distinctement un accent marseillais sortir en faisant chanter la fin des phrases, les mots. Avec ses grands yeux bleus, la couleur méditerranéenne n’est pas loin et on ne peut que se dire que le football féminin est tout autant affaire d’identité individuelle que de performance sportive.
J’ai envie de terminer sans terminer. Je revois cette joueuse faire des matches incroyables contre Lotta Schelin. Ne rien lâcher tout en reconnaissant la qualité de l’adversaire. Sur ce match, je la vois aller chercher ses occasions de buts. Sans excès mais avec la même intention. Proche du mot travail. Sérieux. Implication.
Avec Sandrine Soubeyrand, Amélie Coquet et elle, je les trouve cousines. Puis, je revois ce service de Gaetane Thiney sur corner. La balle déposée au second poteau qui attend, comme le passeur au smasheur, la détente verticale qui va couper la trajectoire. Vous n’étiez pas loin de marquer un but. « Pas loin ! (sourire et rire au fond de la gorge), Dedans. pour moi, c’est pareil (l’accent perle, elle nous fait prendre le TGV à grande vitesse sur Marseille) Le but du jeu, c’est vraiment sortir avec les quatre points et se faire plaisir ! La tête au deuxième poteau sur corner, c’est la signature spéciale Guilbert. « Oui, c’est vrai. Souvent les coachs disent, premier poteau, premier servi. Pour moi, c’est deuxième poteau. C’est vrai, je préfère être au deuxième poteau. ». Le tout finira par un rire.
Nous sommes arrivés. Cette fille nous a embarqué à Marseille. Elle nous montre ce qu’elle est. Là, en ce moment. Heureuse. Purement heureuse.
Heureuse, c’est une marque de fabrique rare de nos jours. En quelque sorte une performance. Et si Nelly Guilbert était une sportive de haut niveau dans la catégorie « Heureuse ? ».
Alors, en ce jour de l’attribution des prix de l’UNFP, décernons lui ce prix : de la joueuse la plus fidèle à son club et la plus heureuse.
William Commegrain lesfeminines.fr