Farid Benstiti a construit l’Olympique Lyonnais (2004-2010) et le Paris Saint Germain (2012-2016). Parti en Chine (2017-2019), maintenant à Lyon. Sollicité sur d’autres projets, Australie, Suisse, Nigéria avant la Coupe du Monde. Des clubs américains actuellement, il a un regard intéressant avec une tendance constante : la professionnalisation. C’est son fer de lance. Il ne voit pas d’autres voies pour arriver à la performance dans un football féminin qui s’ouvre énormément à la concurrence. Le second axe pour l’Equipe de France, c’est d’avoir trop joué la carte de l’expérience passée qui n’a pas montré la possibilité de se mettre au niveau du Mondial pour certaines. Il aurait fallu mettre des jeunes bien avant la compétition, quitte à perdre des matches.
Pour moi, on a voulu suivre deux objectifs : la féminisation du sport et la réussite sportive, rendant impossible la mise en place de jeunes. Les médias n’auraient pas suivi une équipe qui n’est pas championne du monde des matches amicaux. Et donc, la féminisation du sport n’aurait pas atteint son objectif.
Ce coup de coeur tiendra-t-il avec le temps ? Avec les histoires d’Amour, jamais on ne le sait. Déjà, faut-il qu’il y ait eu Amour ou histoire de passage. Cela a été certainement la force de Bruno Bini, laisser les choses se faire si elles doivent se faire.
Lesfeminines.fr. Farid, quel est ton sentiment au lendemain de ce match ?
Farid Benstiti. J’ai l’impression que c’est une répétition de ce qui s’est produit sur les compétitions passées des Equipes de France. On a beaucoup d’espoir et on s’arrête au moment où personne ne s’y attend, les 1/4 ou les 1/2. C’est une sorte de frustration mais il faut être réaliste aussi, sur les postes clés, si on analyse sur plusieurs années.
On a Sarah Bouhaddi, Wendie Renard, Amandine Henry, Elise Bussaglia et Gaetane Thiney et peut-être Eugènie Le Sommer. On a toute cette épine dorsale qui est la même que celle des années précédentes, avec beaucoup d’expériences bien entendu.
Ensuite, quand on voit Bussaglia, Gaetane Thiney, sur le match, je ne veux pas pointer du doigt, mais on voit énormément Amandine Henry, moins les autres. On voit Wendie Renard moins les autres. J’ai l’impression qu’il manque quelque chose à cette équipe de France. Elles ne sont pas accompagnées au très haut niveau par des joueuses qui sont -ou très jeunes pour certaines et qui vont progresser – ou qui n’ont pas été au niveau de cette coupe du monde. C’est pas compliqué.
Lesfeminines.fr Corinne Diacre a dit en conférence de presse que les lyonnaises n’étaient pas toutes en forme compte tenu du programme chargé, Championnat, Coupe, Coupe d’Europe ?
Farid Benstiti. Non. Je ne suis pas d’accord avec cela. Surtout si on analyse tous les matches de l’Equipe de France sur cette Coupe du Monde. Sarah Bouhaddi n’a pas fait une seule erreur. Au contraire, elle nous aide à ne pas avoir une déroute en première mi-temps. Sa sortie aux pieds hors de la surface de réparation. Tout de suite à l’entrée de la deuxième mi-temps, elle empêche le but. Wendie Renard, si elle n’est pas là, il n’y a pas de buts. Si on regarde le niveau d’Amandine Henry avec l’équipe de France. Je crois que sans elle, c’est un désert au milieu de terrain. Tous les actions défensives et toutes les percussions offensives sont pratiquement apportées par Amandine Henry. Soit en soutien, en récupération, sur les frappes sur les coups de pieds arrêtés. Elle est énorme.
Seule Le Sommer, mais si vous jouez sur les côtés, il faut être à 200% de ses moyens. C’est un poste dans le couloir qui le demande. Le Sommer ne l’était pas. Dans un position axiale, sur beaucoup moins de débordements, cela aurait été plus judicieux de la laisser dans l’axe. Cascarino avait largement sa place. Grace Geyoro avec Amandine Henry, cela aurait été d’un autre calibre.
Sarah, Wendie, M’Bock avec moins d’expérience, Amandine Henry, Le Sommer un peu moins, Majri sur la finale. Les lyonnaises ont été de très loin les meilleures de l’Equipe de France. Majri qui a redoublé d’efforts à qui on ne peut pas demander d’être offensif et défensif. Quand on regarde Majri et Torrent et qu’on compare les deux joueuses, on a beaucoup plus vu Majri que Torrent. Il faut un équilibre à droite et à gauche, cela n’a pas été le cas.
Corinne dit cela car elle les voyait à un niveau supérieur à cela. Sur les Coupes d’Europe. Oui. Mais je pense que les lyonnaises ont tiré leur épingle du jeu et heureusement qu’elles étaient là. S’il n’y a pas les lyonnaises aujourd’hui, si vous regardez l’Equipe de France, il n’y a pas d’équipe de France.
Lesfeminines.fr Les USA , les as-tu-trouvé si forte que cela ?
Farid Benstiti. Il faut savoir que l’équipe nationale des USA n’est pas aussi forte que l’équipe nationale précédente. Il faut le savoir mais tout le monde a oublié de le dire.
On rencontré une équipe des USA moins forte que celle précédente. Moins de maturité. Auparavant, il y avait des individualités exceptionnelles. En plus de Morgan, Rapinoe, Heath, il y avait Wambach, Lloyd. Une Hope Solo, gardienne au top niveau mondial. Une équipe des USA moins forte, mais une équipe comme celle de l’Allemagne qui a su se renouveler.
Après la coupe du monde 2015 des USA, si je vous cite Morgan, Rapine, Heath. Voilà, il y a très peu de joueuses qui ont été championnes du monde et avant championnes Olympiques et qui étaient sur le terrain. C’est une équipe complètement renouvelée. Tout le monde peut le dire. Cette équipe sera à 80% celle qui jouera les prochains JO et la prochaine Coupe du Monde.
J’espère que l’Equipe de France avec la nouvelle génération Cascarino, Grace Geyoro. Katoto qui n’était pas présente, saura avancer.
Lesfeminines.fr L’Equipe de France a joué sans renouvellement ?
Farid Benstiti. Je pense que les filles de l’Equipe de France qui ont accepté de jouer cette Coupe du Monde, à part les lyonnaises, celles qui étaient de la génération précédente ne sont pas du niveau de Camille Abily, Louisa Necib, Elodie Thomis, de Marie-Laure Delie. Elles sont très loin. Elles ont accepté le challenge, c’est tout à leur honneur mais elles ne sont pas meilleures que des Sonia Bompastor, Laura Georges. Avant, c’était une équipe exceptionnelle et ce ne ne sont pas meilleures comme anciennes de cette Equipe de France passée.
Lesfeminines.fr Est-ce qu’il y avait les moyens d’avoir d’autres joueuses ?
Farid Benstiti. Je pense qu’il y avait moyen mais très tôt. Comme l’ont fait les USA, l’Allemagne pour pouvoir avancer. Je ne dis pas que Corinne Diacre n’a pas voulu le faire, Elle y pense. Je crois qu’il fallait prendre l’envie de le faire.
Le Japon a tout recommencé après son élimination aux qualifications des JO 2016. Elle n’a que des jeunes joueuses. Quand tu vois leur deuxième mi-temps face aux Pays-Bas, tu te dis que si elles étaient passées, elles auraient fait très mal. Elles montaient en puissance. Elles seront prêtes pour les JO de Tokyo, c’est sûr.
Lesfeminines.fr Est-ce que le fait d’avoir communiqué sur un objectif irréalisable ? Une finale et le titre? N’est-ce pas la pierre qui a tout fait capoter. Compte tenu de l’enjeu, elle ne pouvait pas se permettre de mettre des jeunes avec beaucoup d’expérience.
Farid Benstiti. Je crois que Katoto, que je connais bien, que j’ai eu au PSG. Grace Geyoro. Ce sont des filles qui sont au niveau international. Du moins l’équipe de France avec ces filles n’auraient pas baissé de niveau. Peut-être aurait-il fallu que des joueuses au top niveau, pour les anciennes, je parle. Pour les autres comme Geyoro comme Katoto, Eve Perisset ou Cascarino, elles n’auraient pas fait moins. J’en suis certain. Elles n’auraient pas été au niveau d’Amandine Henry mais elle n’aurait pas fait plus mal qu’Elise Bussaglia.
Lesféminines.fr L’objectif n’était-il pas trop lourd ?
Farid Benstiti. Ce ne n’était pas forcément un objectif trop lourd. Si on joue à domicile. Si on a mis autant de moyens. C’est un objectif, sur le niveau de cette Coupe du Monde. Cette équipe de France pouvait faire mieux. Malheureusement, cette équipe des USA a été très accrocheuse mentalement. Je crois sur certaines jeunes individualités, il y a largement le potentiel.
La seule chose à aire, c’est d’oublier le passé et de lancer une génération complète de jeunes joueuses et faire main basse sur certains objectifs que l’on pourrait ne pas atteindre avant longtemps.
Lesféminines.fr Main basse ? Essayer de les récupérer ou les oublier ?
Farid Benstiti. Il faut avoir l’objectif de construire quelque chose qui va durer. Ce qu’a réussi l’équipe de France il y a longtemps. Se remettre en question avec une génération de qualité à aller chercher. Il y a des postes à pourvoir immédiatement. Celui de gardienne de buts. Le poste d’arrière droit. Il faut vite lancer Katoto car je pense qu’avec Gauvin, on n’a pas d’autres choix.
On ne peut pas, comme pour les garçons, dire « toi je ne vais pas te prendre. »
Lesfeminines.fr On ne peut pas se permettre de faire des choix de personnes ?
Farid Benstiti. Je suis solidaire de Corinne Diacre à 100% sur certaines choses. Mais Katoto je la connais bien. Elle est juste très jeune. Ce sont des erreurs de jeunesse que l’on fait mais elle a beaucoup manqué sur cette Coupe du Monde sincèrement. Techniquement sur les frappes, pied gauche et pied droit, Elle est complète. Elle manque de force physique et mentale, mais elle n’aurait pas fait plus mal.
Lesfeminines.fr Par rapport au match, Amandine henry a été joué ailleurs avec Bussaglia ? Les françaises ne manquent-elles pas de confronter à d’autres football au quotidien ? Et ce championnat de France qui donne toujours les mêmes résultats, n’est-ce une situation qui t’amène à ne pas être assez présentes dans les grandes compétitions ?
Farid Benstiti. Je crois qu’il y a trop d’influences qui sont différentes de la mienne. Je crois qu’il y a une chape de plomb sur cet football féminin français. J’entends trop « Il faut être patient ». « Cela se construit avec la base ». « On travaille en profondeur, sur le nombre de licenciés. »J’ai l’impression de revoir les conditions d’il y a huit ans. C’est un choix. Ce type de championnat.
Moi, je le répète depuis longtemps. Je suis désolé, tous les championnats du monde font de l’élite. En Asie, En Amérique du Sud. En Europe. Ils réfléchissent tous à un championnat professionnel géré par une ligue professionnelle.
La vérité est qu’il faut les moyens de se donner plus avec un championnat professionnel géré par une ligue professionnelle où les clubs professionnels prendraient en mains le football féminin à la place de la fédération qui a fait un excellent travail mais qui doit donner la main.
Lesféminines.fr Et sur l’expérience à l’étranger ?
Farid Benstiti. Amandine henry est toujours aussi forte. je ne pense pas que les USA l’ait tant changé. Je crois qu’il y a des filles comme Aurélie Kaci, Kheira Hamraoui. Aurélie Kaci aurait eu sa place avec cette équipe de France. Ce sont des idées différentes.
Lesféminines.fr Mais ne sommes nous pas simplement à notre place. Prenons l’exemple de Diani et comparons avec Tobin Heath. On a des filles qui débordent et qui centrent difficilement. Et si tu compares avec Tobin Heath, elle ne pense qu’à une chose où va aller sa partenaire pour lui donner le ballon sur le deuxième but américain ?
Farid Benstiti. Diani a des qualité physiques, athlétiques. Capable de déborder n’importe qui sur un court périmètre. Le souci, c’est qu’entre 18 ans jusqu’à 22 à 23 ans, il faut continuer à travailler du spécifique avec les clubs. Il ne faut pas faire comme avec les garçons. les filles prennent leur maturité plus tard.
Aujourd’hui, il y a des jeunes joueuses qui sont toujours en devenir jusqu’à un certain âge. Il faut travailler la technique, l’efficacité. Il faut arrêter de se disperser dans d’autres objectifs qui ne profitent pas aux jeunes joueuses.
Il y a un véritable chantier. Une attaquante ne peut pas arriver sans avoir de jeu de tête, de frappe pied droit, pied gauche. ce sont des qualités essentielles pour une attaquante. Combien de joueuses sont capables de dribbler sur un petit périmètre et de frapper dans le cadre sans que la balle sorte du cadre ? Combien de joueuses en EDF comme Cascarino et Diani, leur jeu de tête devant un but ? Il n’est jamais agressif trop tendre. Il faut continuer à travailler. Il faut revenir sur du spécifique. On a trop de déchets.
Lesfeminines.fr Je reviens sur cet objectif communiqué par les institutions, médias et organisations. On le comprend pour les joueuses, moins pour l’environnement influenceur.
Farid Benstiti. Je pars du principe que lorsque vous avez 11 joueuses dans notre équipe qui sont dispersés dans des petits clubs cela ne peut pas fonctionner pour l’instant. Parce que notre championnat n’est pas assez homogène. Ce qui faisait la force de Bruno Bini, lorsque j’était entraîneur de l’Ol, il y avait 9 joueuses que Bruno avait pris. Lorsque j’étais au PSG, il y avait 8-9 joueuses du PSG. Associés, elles étaient au niveau d’une finale de Coupe d’Europe. Lorsque vous avez cela, vous avez les meilleures pour faire la Coupe du Monde.
Aujourd’hui, Il y a beaucoup moins de l’OL. Beaucoup de filles qui ne jouent pas le haut de tableau. Ce n’était pas les meilleures joueuses du Monde. On ne les a pas.
Dans le passé récent, Il y avait avant d’excellentes joueuses. On avait quasiment les meilleures joueuses du monde.
William Commegrain Lesfeminines.fr