Farid Benstiti, la petite cinquantaine, doit être le coach qui est, depuis le plus longtemps dans le football féminin du haut niveau. A l’échelle mondiale. Un début en 1996, soit vingt-trois ans d’élite. Lorsqu’il est apparu au Paris Saint Germain, dès sa première conférence de presse au sein du Parc des Princes, je l’ai identifié comme un bâtisseur de performances.
Créateur du FC Lyon, cheville ouvrière de la fusion avec l’Olympique Lyonnais de Jean-Michel Aulas. Montée en puissance avec le premier titre en 2006. Les premières demi-finales européennes lyonnaises et la finale 2010 perdue aux tirs au but, après avoir mené dans le courant de la séance. Une lutte acharnée avec l’Allemagne qui avait démarré la suprématie européenne en 2002, terminant l’année 2010 avec six victoire et deux finales.
Lyon était un souffle de la victoire qui se fera avec Patrice Lair ensuite (2011 et 2012) puis Gérard Prêcheur (2016, 2017) pour se continuer avec Reynald Pedros (2018, 2019). Depuis, la France possède le leadership, avec six titres et trois finales.
Après 2010, l’homme s’était occupé de la sélection russe et du finaliste européen WFC Rossiyanka. A la veille d’un match de préparation des JO 2012 de l’équipe de Bruno Bini à Beauvais (11/07/2012, 3-0), on apprend que le sélectionneur russe vient juste d’être libéré, pris par une mission incroyable.
Il s’agira de Farid Benstiti qui reçoit le challenge de créer une équipe européenne au Paris Saint Germain Qatari, quand la section est amateur et que Juvisy pointe, un orteil devant son adversaire régional, bataillant avec l’Olympique Lyonnais.
L’ex-lyonnais s’attache à la tâche, met le curseur très haut. Toutes les filles sont professionnelles, les obligeant à changer de viseur par rapport aux éxigences du football de haut niveau et dans les dix huit mois, il intégrera des étrangères de très haut niveau pour pouvoir challenger l’Olympique Lyonnais.
Avec pour réussite la seconde place européenne acquise continuellement, passant nettement devant Juvisy au fil du temps mais butant face à l’OL pour un titre bien que ayant réussi l’exploit des les gagner deux fois à Gerland, une fois en championnat, l’autre en les éliminant de la Coupe d’Europe. Une année 2015 qui se terminera avec une finale européenne contre Frankfurt (2-1), lâchant le titre sur un second but encaissé à la … 92′.
Nasser avait affrété un avion spécial VIP d’une centaine de personnes. Ils buteront sur un détail. Frankfurt prenant sa 4e coupe européenne. Farid m’avait dit lors d’une interview, en partant du PSG (2016). « J’étais sûr qu’en prolongations, on gagnerait le match. Elles étaient à bout de souffle. »
Une année sabbatique et voilà que la qualité française interpelle la politique sportive de la République chinoise, qui en matière de sport, ne se remet jamais à l’initiative privée, mais développe une politique sportive comme on développe une politique économique. L’ambition de la Chine est grande. Retrouver la lumière mondiale que lui a pris le Japon, champion du Monde 2011, elle qui a fait trembler les USA, numéro 1 mondial, en 1999 (finale mondiale) pour un titre qui s’est joué aux tirs au but (0-0) devant plus de 90.000 personnes ! Record mondial toujours d’actualité.
Alors le lyonnais part en Chine, au club de Dalian, petite province chinoise mais grande mégapole qui investit dans le football et surtout dans celui féminin, instaurant à l’école la pratique de la discipline … Pour qui se souvient ce qu’était la Chine en 2000 lors de l’obtention des JO et ce qu’elle a glané en 2008 (première place mondiale en Or et seconde en nombre -100- derrière les USA -112-), on comprend ce que signifie le mot politique quand il est dit en mandarin ou cantonais.
Interview exclusif de Farid Benstiti, prêt à partir sur une autre aventure et revenu en France courant avril 2019.
Lesfeminines.fr Farid Benstiti, comment se sont passées ces deux années en Chine ?
Farid Benstiti. Deux années superbes avec des titres et une superbe expérience de vie. Cela s’est un petit peu emballé sur la fin avec notre Président qui s’est trouvé quasiment emprisonné (mis en détention) et cela a affecté énormément le club. J’ai décidé d’arrêter plus tôt mon contrat en attendant que la situation soit meilleure. Je ne pouvais pas faire autrement que de cesser le travail. D’un commun accord. Cela s’est très bien passé avec la Direction du club. Ils ont été compréhensifs, et j’avais besoin de retrouver ma famille.
Lesfeminines.fr Tu étais parti seul ?
Farid : Oui. On n’arrivait pas à trouver une école française pour mon fils. J’ai signé en Chine, il allait entrer en seconde. C’était trop difficile pour moi de ne pas vivre auprès de mon gamin et de ma femme. Associé avec les soucis du club, j’ai décidé de revenir.
Lesfeminines.fr Une superbe expérience avec des titres.
Farid : Deux années de titres comme Champions et j’ai pris deux SuperCoupe. Avec le développement de joueuses comme Oshoala (La France rencontrera la nigérienne pour le 3e match de groupe), très bonne joueuse (meilleure joueuse du Mondial U20 2014 au Canada), meilleure buteuse que j’ai recruté en arrivant à Dalian et qui depuis a fait un véritable bond.
Lesfeminines.fr Que peux-tu nous dire sur ce football chinois qu’on connait assez peu.
Farid : La première chose que les gens occultent, et c’est très important de le savoir. La Ligue féminine est bien au-dessus de la Ligue masculine en Chine. La Chine est très compétitive dans une confédération de très haut niveau. On a des équipes nationales très fortes. Les équipes nationales du Japon, la Corée du Sud et celle du Nord, la Chine, l’Australie qui font partie de la zone asiatique. C’est intéressant.
Ensuite, pourquoi le championnat chinois est fort. C’est que le championnat est très bien organisé. On a huit équipes, tout le monde est professionnel, tous les clubs, avec de très bonnes joueuses. Les filles comme les entraineurs sont tous sous contrats avec des structures de travail qui sont largement au-dessus de la moyenne et surtout, en Asie et en Chine avec le volume de la population, il existe un nombre de joueuses impressionnantes avec un potentiel incroyable.
Le niveau global est donc très bon, ce qui permet de n’avoir que trois internationales étrangères au maximum dans un club. Des étrangères qui doivent relever le niveau pour jouer. Au final, de la place pour les joueuses nationales, des étrangères de qualité. Les entraîneurs sont compétents et on a une fédération chinoise qui s’investit dans le développement du foot, et particulièrement du football féminin, avec des sponsors spécifiques féminins. Le tout en ne dégagent pas des budgets énormes (politique d’Etat) mais on peut en vivre.
NDLR. Très largement me disait Bruno Bini qui a été le sélectionneur des Roses d’Aciers de 2015 à 2017.
Lesfeminines.fr C’est pas plus mal de chiffrer. Toi qui a toujours été autant manager que coach, quel est le budget ?
Farid : Le budget global du championnat est plus cohérent en Chine que celui du championnat français par exemple. On n’a pas de clubs sans budget ce qui donne un ensemble plus harmonieux que les budgets européens mais si on devait comparer les budgets spécifiques de chaque clubs, on se rendrait vite compte que le budget du Paris Saint Germain et de l’Olympique Lyonnais est bien plus important.
Lesfeminines.fr. Inférieur à un budget de deux millions ? Paris FC -par exemple- tourne autour d’un million cinq cent mille (interview du Président Pierre Ferracci).
Farid : Je n’ai pas la sensation que les budgets de D1F soient si élevés que cela. Les budget chinois sont proches de 500.000 à 600.000 euros. Pour le Paris Fc, j’ai du mal à voir où se trouve le contenu du million cinq cent mille euros. Quand j’étais au PSG et dans l’ensemble, j’ai toujours été sur le budget des clubs .. Il faudrait avoir une masse salariale très importante pour avoir un budget d’un million cinq cent mille euros. Tant mieux, si c’est le budget du Paris FC.
(Après réflexion) Je pense qu’il ne faut pas afficher les budgets parce qu’après, on va se poser la question, pourquoi avec un budget d’un million cinq cent mille, on n’a pas de résultats.
NDLR : les budgets féminins sont compliqués à comparer. Cela dépend de ce qui est mis à l’intérieur. Certains parlent de toutes les dépenses de la section féminine, jeunes compris. D’autres uniquement de celles de l’équipe d’élite. Enfin, le budget est surévalué pour donner une force et une crédibilité psychologique ou une source d’inflation pour les agents.
Lesfeminines.fr Toi qui est un chantre du professionnalisme du football féminin, que penses-tu de ce qui se fait en Angleterre ?
Farid : L’Angleterre a beaucoup progressé avec son équipe nationale. Elle a fait un réel bond. Chez les jeunes aussi, comme l’Espagne et l’Italie qui fera un réel bond dans l’avenir si elle continue à travailler comme cela. Des pays qui rattraperont certainement la France et l’Allemagne.
L’Angleterre, c’est la même chose que la Chine et la Corée du Sud. Ils ont décidé de construire un véritable championnat professionnel et ils l’ont fait. C’est un championnat où il y a obligation d’avoir des joueuses et des entraîneurs sous contrat professionnel. Des structures qui répondent aux conditions d’une charte sous l’autorité d’une Ligue de football professionnelle féminine.
Donc, n’importe qui pourrait deviner que les avancées vont être plus importantes.
Lesfeminines.fr. La construction que tu as faite du PSG (2012-2016) avec des joueuses internationales étrangères de qualité (trois championnes du Monde, deux allemandes, une américaine). Refaire la même chose, c’est quasiment impossible aujourd’hui. Toutes les joueuses sont sous contrat.
Farid : C’est possible. Il ne suffit pas d’avoir un budget énorme. Il faut être juste cohérent dans ce que l’on veut. Nous, tout en étant dans le projet rapide du PSG d’avoir des résultats probants, l’idée a été de recruter rapidement des joueuses de prestige mais aussi de lancer le PSG sur du long terme avec une qualification régulière en Coupe d’Europe, et la seule façon de le faire était de développer le centre de formation que j’ai fait avec Pierre-Yves Bodineau.
Je ne dis pas que j’ai lancé les jeunes (fait pas Patrice Lair à sa suite) dans le grand bain mais on a fait signer sept à huit contrats professionnels pour nos jeunes joueuses de moins de 20 ans. Il y avait donc ce double projet qui était de perdurer dans les résultats, d’avoir une qualification européenne, d’essayer de bien se situer par rapport à l’Olympique Lyonnais, et dans les années à venir de les concurrencer.
Les joueuses de prestige, actuellement au PSG je n’en vois pas tant que cela, Par contre, je vois de jeunes joueuses et c’est assez révélateur d’une politique qui s’est mise en place quand je suis arrivé et qui a continué à faire son chemin une fois que je suis parti.
On peut toujours aujourd’hui faire venir de très bonnes joueuses. Il suffit d’être pertinent et de très bien connaître le football international, non pas seulement celui des meilleures mais aussi celles qui arrivent. Il faut s’y intéresser réellement.
(1/2). Seconde partie éditée demain.
William Commegrain Lesfeminines.fr