Souvent on se préoccupe de savoir ce qui pourrait se passer en haut du classement de la D1F alors que depuis douze saisons, on assiste au titre de l’Olympique Lyonnais, ne laissant à chacun d’entre nous que l’inconnue de la seconde place, aujourd’hui dans les pieds du Paris Saint Germain depuis 2013.
On oublie que la bataille fait rage pour les clubs qui se battent afin de conquérir le maintien.
La saison dernière ayant été le paroxysme avec -rappelez-vous- six clubs (Lille, Bordeaux, Fleury, Rodez, Guingamp, Albi) qui pouvaient descendre et accompagner l’Olympique de Marseille. Au final, entre le cinquième de la D1F avec 24 points et Albi, premier relégable, seul quatre points les auront séparés.
Comment vit-on cette situation quand on se trouve dans le bas du classement ? Quelle tension cela génère-t-il d’être, dimanche après dimanche, à la recherche du moindre point ? Soulagé de ne pas avoir de blessées ? Ballotées dans des moyens de transport en bus qui vous font traverser la France. Perdre mais tout le temps recommencer pour ne pas abandonner.
Théodore Genoux, installé à Barcelone pour obtenir son titre UEFA PRO qu’il a réussi, coach d’Albi la saison dernière, relégable seulement à la dernière journée, revient sur ses émotions du moment.
« Inside dans le train de la descente de la D1F », version 2017-2018.
« J’ai encore de l’amertume ». Le jeune coach d’Albi d’un peu moins de trente ans n’a pas digéré cette sanction sportive inattendue et dramatique pour un coach comme lui qui recherche à tirer le meilleur de son groupe.
On descend sans jamais avoir été relégable et avec 20 points au compteur, pour 5 victoires, 5 nuls et 12 défaites. Mieux que la saison dernière, où on finit 9e avec 19 points.
C’est la première fois qu’un club descend avec 20 points ! Tous les résultats des deux dernières journées se sont avérées contre nous.
« On l’a vécu de manière injuste. Comme une injustice car on n’avait jamais été relégable de l’année. Avec 20 points, aucun club ne descend dans un passé récent. Le pire, c’est que dans les deux dernières journées, il s’est passé exactement ce qu’il ne fallait pas qu’il se passe ! Tous les résultats se sont avérés négatifs pour nous. A la 21e journée, on perd au Paris FC sur un pénalty en fin de match, à la 85′ de Thiney (1-0) alors qu’avec un match nul on serait encore en D1F.
En plus nos concurrents Fleury l’emporte tout juste sur Guingamp (45′, Rabanne, 1-0) et Rodez gagne à Marseille (0-1, Lemaître 69′). Cela se resserre. Puis à la dernière journée, Lille à égalité de points avec nous, gagne à Bordeaux (1-2). Parti la veille pour se préparer au mieux. Guingamp s’impose sur Marseille (1-0) quand Fleury réussit à faire match nul avec le Paris Fc (0-0) à Charlety, dans un derby qui aurait dû annoncer un vainqueur.
Et nous, on perd logiquement contre Montpellier (3-1) après avoir tenu jusqu’à la 75′ le score de (1-1) qui nous sauvait ! Rodez et Guingamp derrière nous avec 19 points nous passent devant (22), Lille avec qui nous partagions 20 points monte à 23. Quatre clubs finissent à 22 (Guingamp, Rodez, Fleury, Bordeaux) et nous sommes les seuls à faire un surplace. 20 points. On descend, sans jamais avoir été relégable. »
On comprend que le coach l’a mauvaise. « J’ai coupé mon portable tout le week-end. Je voulais être seul ». Le décor est posé. Si le scénario avait tout d’une série de Netflix, intéressante pour les suiveurs, elle avait été dramatique pour le club le moins argenté de cette saison 2018.
Quand on est en bas de classement, la difficulté c’est de jouer sa tête à chaque rencontre. On n’a pas de répit.
Mais un résultat de fin de saison se vit pendant la saison. Si on sait que les joueuses de l’Olympique Lyonnais doivent tout le temps maintenir un niveau d’exigences hors du commun pour glaner autant de réussites (cinq titres de WCL, 12 Championnats consécutifs, 6 Coupes de France consécutives), quelle est la difficulté dans un club sans moyen particulier autre que l’envie de joueur au plus niveau aidé par des partenaires locaux, pour un budget de 300.000 euros quand celui lyonnais dépasse les 6 millions ?
On n’a jamais de répit ! Tout le temps sous pression !
Théodore Genoux aura une réponse limpide : « La difficulté, c’est que l’on a jamais de répit ! Un exemple, on fait une victoire à Guingamp (0-1) à la 20e journée et dans la même journée, Rodez l’emporte nettement sur Fleury (3-1). Et bien, on a pas pu souffler. On n’était pas sauvé ! On est rentré le lundi matin car on a fait les 1000 kilomètres en bus, à l’aller comme au retour. On n’a pas pu savourer. Rien, il a fallu se remettre tout de suite dans le prochain match avec les mêmes inconnues. Sauver sa tête qui n’était pas encore garantie ! »
Et cela, c’est pendant les huit matches « aller-retour » où tu rencontres tes adversaires au maintien dès lors que tu ne comptes pas prendre de points contre l’OL, PSG et Montpellier.
Quel était le groupe d’Albi, qui en était à sa quatrième saison en D1F ?
« On s’entraînait 7 fois par semaine et le matin j’avais cinq contrats fédéraux et des joueuses qui travaillaient au club comme éducatrices et disponibles pour les entraînements. J’avais un groupe de dix joueuses et le reste était des semi-professionnelles qui touchaient de l’argent pour de sommes avoisinant les 600-700 euros chacune pour défraiement. Le moteur de la motivation n’était pas spécialement financier. Il fallait toucher à l’égo des joueuses pour activer une motivation de sportive de haut niveau. »
Mais quelles étaient les difficultés ? « le niveau de la D1F est un vrai niveau sportif et j’avais des filles qui étaient en surpoids, pas loin des 80 kgs ce qui posait un gros problème dans les matches où les adversaires vont vite. Ensuite le niveau d’exigence était différent. On avait du mal sur certaines séances tactiques nécessaires, comme sur des conseils d’alimentation. En plus, le groupe avait ses habitudes et certaines partaient dans l’idée d’être garanties de leur place. Cela posait aussi des problèmes par rapport à la concurrence des autres équipes. »
Un phénomène courant et compréhensible dans un groupe qui se connaît où il faut arriver à créer une dynamique positive tout en sanctionnant les excès. « J’ai une certaine exigence et cela été compliqué de transformer ce groupe dans ce domaine là ».
Justement comment alors s’en sortir dans une D1F qui se professionnalise de plus en plus ?
La seule solution, « c’est d’être positif. Il faut positiver les résultats. Vous ne pouvez pas être négatif avec une équipe qui gagne 1 match sur quatre en moyenne. Quand on fait une séance vidéo après avoir pris un carton contre l’Ol par exemple, cela ne sert à rien de montrer les erreurs mais plutôt de tourner le regard vers ce qui a bien marché, le nombre de fois où on est entré dans la surface, la manière d’y avoir accédé, les opportunités et les qualités de la défense, montrer la progression, etc .. Sinon, quand vous êtes appelés à prendre des défaites, si vous vous morfondez, vous ne tiendrez pas la saison. »
Comment se gère les tensions et la démotivation ?
Dans le football féminin, tout le club est proche de l’équipe d’élite et les tensions ne touchent pas que les joueuses. Elles existent aussi dans le club, du ou de la présidence au banc du staff.
« Des tensions, il y en a eu. Mais pas plus que cela. Dans un groupe de 25, vous devez gérer les clans. Les habituées de telles places dans le bus. Nous on avait un problème entre les filles de Toulouse et celles d’Albi et aussi avec moi, car j’avais modifié les règles et mis en place mon exigence comme gagner sa place à l’entraînement ce qui avait posé des problèmes au début et beaucoup moins après car nous étions quand même 7e à la trêve. »
L’environnement du club était un peu trop gentil ce qui posait des problèmes de messages. J’avais une philosophie quand elles venaient réclamer quelque chose, de légitime ou non, mais que le club ou moi ne pouvait pas ou ne voulait pas produire : « Et après, qu’est-ce qu’on fait ? On baisse les bras ou on l’utilise comme une force de motivation, pour finir devant Marseille par exemple ? On est allé à Guingamp en mini bus. Certaines joueuses ont même conduit au retour. Sauf qu’on a gagné là-bas. Fleury a pris l’avion pour jouer contre nous. On les a battues ».
Quel est votre regard sur les clubs du bas de classement de cette saison ?
« C’est simple. Il faut faire plus que les autres. Car elles sont plus fortes que vous. Pour prendre le bon exemple de Soyaux, Le potentiel de Soyaux est inférieur à Fleury, Bordeaux, il faut faire plus.
Ce n’est pas la Coupe de France, vous ne pouvez pas tout miser sur l’esprit du groupe, le championnat c’est 22 journées. Il faut durer. Il faut choisir dans les domaines où on peut faire progresser et le physique est celui où on peut le plus progresser. C’était notre fer de lance à Albi. Il faut choisir ses axes et travailler dessus. Par exemple, à Albi on marquait très peu de buts sur coup de pied arrêté et on en encaissait beaucoup. On a travaillé cela avec de la vidéo, avec un préparateur mental, et on beaucoup moins encaissé.
Mais Soyaux et Sebastien Joseph savent très bien travailler cela. Elles sont solides en défense, savent subir sans prendre de buts dans leurs temps faibles et marquer dans leurs temps forts. Il leur suffit de 20 minutes de temps fort pour conclure. C’est leur force. Contre l’OM, elles prennent un bouillon. Elles sortent la tête 20 minutes. Elles gagnent le match (1-2). Contre nous, pareil. Elles ont un temps fort dans le dernier quart d’heure, elles marquent sur coup de pied arrêté à la dernière minute du match. Contre Bordeaux, coup de pied arrêté, contre Fleury, pénalty. Elles savent jouer les moments importants d’un match. »
Quand on est moins fort, il faut faire le bon diagnostic de son équipe et adapter son jeu à ses qualités ?
Quand je suis arrivé à Albi après avoir fait monter Bordeaux (ex – Blanquefort) en D1F, j’ai appliqué une stratégie différente car j’ai fait une analyse FORCES/FAIBLESSES précise de mon équipe. Tout d’abord, il faut admettre nos faiblesses et chercher une ou des solutions. Pour moi, on était l’équipe la plus faible avec Rodez, sportivement et économiquement aussi. On avait aucune possibilité de recrutement en milieu de saison. Il fallait l’admettre pour travailler plus. Les joueuses n’aiment pas trop cela. S’il y a des vérités à dire, certaines vérités sont bonnes à dire.
Notre jeu était assez direct et on jouait sur la vitesse de Cazeau pour marquer. On jouait bas car on avait des filles en surpoids en défense, il nous était impossible de joueur haut. On se serait fait transpercer. Et on a jamais pris un carton à part Montpellier (7), Lyon (5) et PSG (4). Tout le reste a été assez ou très serré. On a joué sur notre point fort qui était la fermeture d’espaces.
Et si Metz est remonté, c’est que certainement, le diagnostic des forces et faiblesses a été fait avec d’autres regards pour adapter un style de jeu propice à une remontée au classement. »
Au final, quand on est en bas de classement, c’est qu’il y a des raisons économiques et sportives. Il faut d’abord faire un diagnostic précis de nos forces et faiblesses pour adapter un style de jeu propice et chercher dans la gestion mentale du groupe, la force positive qui imposera une ou au moins six défaites aux équipes adverses (ce qui donne 18 points) plus quelques matches nuls. Avec un leitmotiv, faire plus que les autres et trouver dans les problèmes et les moyens limités, des sources de motivation et de confiance quand on les a dépassés.
Cela a été la philosophie et le travail de Theodore Genoux, coach d’Albi en 2017-2018.
Merci Theodore Genoux, UEFA PRO A, plein de vie et d’envies pour s’occuper du football féminin.
William Commegrain lesfeminines.fr