Noël le Graët l’avait dit, la confirmation est tombée. Partie d’un renouvellement pour 2023, le contrat avec la FFF met la coach française, à la tête de la sélection féminine jusqu’en 2024.

Une décision qui va interroger du simple fait que les « pour » et « contre » de la coach de Clermont (L2) qui a fait son histoire avec le football professionnel ont toujours été nombreux.

À l’évidence, la future quinquagénaire qui fêtera ses quarante-huit ans le 3 août prochain pourrait s’occuper de politique ! Tant son vécu à la tête de la sélection française, commencée en 2017, ressemble à un parcours présidentiel, dont l’élection est le fruit des avantages et inconvénients de la démocratie. Autant de gens pour que de gens contre.

De 2017 à 2019, une relation catastrophique

Arrivée sur un tapis rouge en septembre 2017, très rapidement vilipendée lorsque dans l’émission dominicale « Téléfoot », elle annonce à la France entière du ballon féminin que Wendie Renard n’est pas la meilleure défenseuse du Monde.

De là, c’est creusé un fossé qui, au fil du temps, n’a fait que de se renforcer.

le Oui Non de Corinne Diacre où elle répond aux questions de Thomas Mekhiche (source Téléfoot)

Le monde du football n’est pas un monde câlin

Revenons sur le passé de celle qui a été la première femme à avoir le BEPF autrement que par la VAE. Tout juste sortie du BEPF en mai 2014, elle avait espéré un avis favorable pour prendre en charge l’Olympique Lyonnais qui se séparait de Patrice Lair (2010-2014), double champion d’Europe en 2011 et 2012, finale perdue en 2013, éliminée par le PSG pour 2014. L’Histoire dit que Wendie Renard l’avait déconseillé.

Une charge, supplémentaire, à son éviction de l’Équipe de France quand Philippe Bergerôo en septembre 2013, pourtant formateur à son BEPF, ne l’avait pas retenu dans le staff. Ses mots avaient été clairs : « Quand un coach arrive, il change tout le staff ». Ce qui ne lui avait pas empêché de lui donner le diplôme suprême.

Il ne restait plus qu’à la jeune coache diplômée à prendre son bâton de pèlerin pour chercher un poste.

Elle ciblait d’être adjointe de Pascal Gastien de la même promotion, c’est l’opportunité de Clermont (2014-2017) qui s’est présentée, suite à la démission éclair de la portugaise, Héléna Costa, un mois après sa nomination, avec le succès qu’on lui connait (50v, 39, 44d) et surtout le record sur cette période, d’être le coach le plus ancien de la L2, en poste, dans un monde où les coaches bougent très rapidement.

Une femme remplaçait une femme à la tête d’un groupe professionnel masculin. Le film était beau.

La Coupe du Monde, « sucré, salé » suivant qui l’a gouté.

Un beau fossé donc commencé assez tôt en 2017, confirmé avec le retrait du capitanat à la martiniquaise, assez sensible à l’orgueil. Des matches en construction, expliqués avec la jurisprudence Jacquet de 1998, qui n’ont fait qu’agrandir cette incompréhension entre trois mondes absolument nécessaires : les joueuses, les médias, le grand public.

Avec le contenu des matches de la Coupe du Monde 2019, loin de l’espoir et des attendus de la presse spécialisée. Cela a été une période compliquée, mais toujours correcte avec cette 3e place mondiale qui ressemble bien à un titre de championne du monde des matches amicaux.

J’ai en mémoire, la réaction des diffuseurs télévisés dans la zone de presse, échangeant de manière informelle avec les journalistes. Ils ne voyaient pas le jeu qu’ils auraient aimé voir.

Sauf que, et c’est la très grande caractéristique de Corinne DIacre, autant elle peut avoir des détracteurs, autant, pour suivre l’exemple de 2019 et du Mondial français, vous trouverez chez les occasionnels de cette pratique, -bien plus nombreux-, un réel engouement du public qui ne voulait que voir des Bleues dans un grand stade, à vivre une grande compétition.

Le match d’ouverture de la compétition avait établi un record historique d’un peu moins de 10 millions de téléspectateurs sur TF1 (9.800.000 avec un pic à 10.9 selon Médiamétrie. La France l’avait emportée (4-0) sur la Corée du Sud sur des buts d’Eugénie Le Sommer, un doublé de Wendie Renard et le quatrième d’Amandine Henry.

Ils avaient été heureux.

Le reste de la compétition avait été dans cet esprit : les habituels fans déçus, les professionnels des médias critiques et un public heureux.

L’Equipe de France pendant la Coupe du Monde (source fff).

La France consolidait juste sa réputation en interne : les quarts et pas plus. Dans un monde où l’expression n’intéressait que peu de monde.

Renouvelée en 2019, jusqu’en 2022 : rappelons l’aspect financier de ce métier

Coach avec le BEPF, ce ‘est pas un métier où tu ne gagnes rien à partir du moment où tu as un poste.

Après deux ans d’exercice et de mandat, Corinne Diacre aurait pu être remerciée. Il faut dire, pour se défendre, qu’elle avait des arguments à faire valoir : on était allée la chercher comme une princesse à Clermont alors qu’elle aurait pu continuer chez les professionnels masculins et valider financièrement et professionnellement un diplôme qui vaut de l’Or, le BEPF, pour ceux en poste, et rien du tout pour tous les autres, nombreux, qui n’ont pas d’équipes professionnelles à coacher.

Rappelons que le minimum syndical de l’UNECATEF doit tourner à 8.750 € mensuel pour un coach de Ligue 2, 17.920 € pour un coach de Ligue 1, sans limite pour les meilleurs qui touchent entre 300.000 à 2.000.000 € mensuels. Sportune nous parle de 30.000 € en 2021-2022 pour les moins payés (Gastien et Dupraz) avec une moyenne arithmétique à 2.500.000 € annuel pour un maximum attribué à Pochettino de 13.2 millions d’euros annuel.

(source Charte du football professionnel, annexe 2).

La sélection de l’équipe féminine doit donner une rémunération d’environ 30.000 € mensuel aujourd’hui.

À partir du moment où on réfléchit professionnellement, prendre l’équipe féminine A pour un coach qui avait un fort potentiel médiatique en 2017, c’est prendre un challenge qui soulève une question. Combien valait médiatiquement Corinne Diacre quand plus de cent télévisions à travers le monde s’était déplacées pour superviser la conférence de presse de Clermont ? Dans un monde professionnel où le pauvre d’hier devient riche en un peu moins de cinq ans, c’est une question qui doit se poser.

Je pense que dans le renouvellement de Corinne Diacre de 2022 à 2024, il y a aussi de cela de la part du Président de la Fédération auquel beaucoup lui reproche son âge (80 ans) en oubliant l’avantage que l’expérience donne : savoir le coût et la réalité des parcours sportif de haut niveau.

D’ailleurs, pour terminer sur ce raisonnement, souvenez-vous de Laurent Tillie, coach de l’équipe de France masculine de volley qui a pris l’équipe féminine de RC Cannes un temps (2016-2017). Mais un temps très court, pour revenir chez les hommes avec le succès d’on lui a connu, la médaille d’Or inattendue aux JO de Tokyo.

2019-2022 : la période calme, un peu remuante mais qui reste maitrisée.

Les choses s’améliorent sur un point fondamental : la presse.

Même si des choix sont faits en prenant tardivement Kheira Hamraoui (2021), en pleine bourre à Barcelone en 2019. Même si le clash Amandine Henry (32 ans) ouvre une nouvelle page de conflits avec les Bleues qui feront les lignes de 2019 et 2020 ; même si le choix de ne pas prendre une doublure internationale à Marie-Antoinette Katoto en la personne d’Eugénie Le Sommer (33 ans) se discute pour cet Euro ;

Selma Bacha, joueuse de l’OL (21 ans), entrée en Équipe de France en 2021-2022.

La presse professionnelle voit arriver un nouveau groupe, une nouvelle génération, repoussant à la normalité, l’exclusion d’anciennes joueuses pour l’ouverture à de nouvelles comme Clara Mateo (24 ans), Selma Bacha (21 ans), etc.

L’accès à la demi gagnée face aux Pays-Bas (1-0, 105′) avec une équipe incroyable d’envies est à la limite d’aplatir les montagnes de la discorde, surtout si la mémoire du match face à l’Italie ressort (5-1). Alors la demi-finale contre l’Allemagne (1-2) ramène la France à une réalité : elle n’avait pas la solution de ce match, déjà au combat face à la Belgique et en interrogation contre l’Islande dans leur phase de groupe.

Fin de contrat prévu en 2022. Cinq ans, c’est déjà pas mal comme durée.

La dynamique 2022-2024 : un risque

Un quinquennat qui se transforme en septennat, avec le risque qu’on lui reproche que l’Équipe de France ait été trop longtemps celle de Corinne Diacre, ou alors qu’on la porte vers les étoiles, en cas de succès sur les deux années qui viennent.

Classique, sauf que l’environnement du football a bien changé.

Gagner pour une fédération est devenu un enjeu.

Dans le football féminin d’hier, le septennat n’aurait posé aucune interrogation. Mais dans le football féminin d’aujourd’hui, international en plus puisque nous parlons de sélections nationales, l’environnement bouge énormément !

Le public allemand accueillant les joueuses malgré la défaite en finale

La presse française, à trois en 2013 n’étaient pas loin de trente, tous médias confondus en Angleterre. Trente à trouver des angles, des lignes à écrire, des approches. Imaginez aux JO 2024 à Paris. La médiatisation va être énorme.

Les matches de l’équipe de France se jouent entre 5.000 et 20.000 spectateurs. À l’inverse, les compétitions internationales, notamment à l’approche des finales, sont mis dans un écrin de 90.000 spectateurs, dans des enceintes mythiques (Wembley) avec des audiences télévisuelles stratosphériques. 17.4 millions de personnes ayant suivi la finale Angleterre-Allemagne pour ne compter que la BBC1 ! Les enjeux pour aller au bout ne sont plus les mêmes.

Avec en plus une seule bonne place dans cet univers des médias. La première, voire la seconde. Que reste-t-il de la France et de la Suède pour ne revenir que sur l’Euro 2022, demi-finalistes de la compétition. Rien. Dans le onze de l’UEFA, une seule joueuse, la française et latérale gauche Sakina Karchaoui. Que reste-t-il de l’Allemagne, à deux doigts de réussir à prendre ce neuvième titre, que l’organisation lui a retiré, l’Angleterre étant beaucoup plus glamour que l’Allemagne. Rien.

Il y a de vrais nouveaux profils chez les concurrents

Regardez à quel point chaque sélection fait des choix athlétiques de joueuses : Jule Brand (19 ans), 1 mètre 77 pour l’Allemagne comme Ella Toone (22 ans) qui ouvre le score pour l’Angleterre lors de la finale, sont des coureuses de 400 mètres. Elles ont des enjambées qu’aucunes autres joueuses n’ont. Alessia Russo (1.75), auteur de la talonnade, est un physique particulier, imposant.

Le football féminin est train de se transformer comme celui européen s’est transformé dans les années 60-70. Parti de petits joueurs pour un football athlétique à l’allemande ou à l’italienne.

Tous les pays veulent s’y mettre. Regardez le Mexique, organisateur de la Coupe de la CONCACAF, attribuant les billets pour le prochain Mondial 2023 et les Jo 2024, pas qualifié pour autant à la suite de la compétition et qui vient de recruter deux stars au jeu ibérique : Jennifer Hermoso et Aurélie Kaci. Certainement attirées par des offres financières uniques.

Tout le monde veut s’y mettre, surtout pour avancer et gagner.

Donner sept ans à une seule et même personne pour gérer le football de l’équipe de France et ses conséquences sur la pratique. C’est beaucoup, pour une personne qui, comme son métier le demande, va imposer ses choix et ses visions. C’est un long mandat dans un monde qui bouge vite.

Corinne Diacre, deux ans de plus. Pourquoi pas, mais avec quelle stratégie ?

Dans ce cadre, quels sont les moyens, les outils, les joueuses que Corinne Diacre pourra utiliser en sachant qu’elle ne changera pas sa structure de groupe. Les compétitions s’enchainant les une après les autres. Mondial 2023, JO de Paris 2024, Euro 2025. La prochaine phase de repos est seulement pour 2026.

Le Mondial 2023 va être très difficile pour les équipes européennes. Seules deux seront qualifiées pour les JO, la France ayant le troisième ticket. En ouvrant la compétition à trente-deux équipes, là où auparavant, il y avait huit équipes européennes, l’UEFA va envoyer soit onze, soit douze équipes, classées au plus loin dans le Top 20 mondial. Des équipes qui, à l’instar de l’Autriche à l’Euro comme là Belgique, peuvent éliminer au moins une équipe à plus fort standing.

Le Mondial 2023 va même être une boucherie, d’autant qu’en 2019, les quarts étaient composés de sept équipes européennes sur huit ! Seules les USA (2-1) avaient passé le cut, difficilement face à l’Espagne, en marquant deux penalties contestés.

Même si cela peut être relativisé, en 2015 au Canada, la France avait gagné son ticket en perdant les quarts et il avait fallu descendre au niveau des 1/8e pour trouver, avec un barrage, la 3e équipe européenne. La Suède qui d’ailleurs en avait profité pour gagner l’Argent aux Jo de Rio.

Coupe du Monde 2019. À partir des quarts, sept équipes européennes sur huit. Une seule exception les USA

S’il n’y a pas de performance en 2023, les critiques vont pleuvoir. Les Jo de Paris vont être une attente importante avec l’avantage d’être noyée, ou insérée dans d’autres sports collectifs qui fonctionnent d’ailleurs bien ! Le Basket féminin (Bronze Tokyo), le hand féminin (Or Tokyo). Mais avec le risque de la comparaison et de la concurrence.

S’il fallait changer, la fin de l’Euro aurait été le meilleur moment pour changer

En fait, le meilleur moment pour changer eut été maintenant. Paris 2024 étant dans la poche, la concurrence dans le mondial 2023 très forte, cela offrait dix-huit mois à un potentiel successeur ou successeuse pour construire sur les bases réussies de Corinne Diacre et apporter une vision complémentaire en intégrant de nouvelles joueuses avec un regard différent.

Même pour Corinne Diacre, je me serais posé la question d’un changement. Elle ne sort pas par la grande porte, mais elle a fait mieux que ses prédécesseurs. Elle retrouverait des possibilités au niveau masculin, sur le modèle du sélectionneur canadien Hermann, passé des femmes aux hommes avec succès. Et elle se créerait un nouveau challenge où elle avait correctement réussie.

Je me serais posé la question et d’ailleurs, l’aurait même anticipé.

Est-ce un problème que Corinne Diacre soit renouvelée en 2024, 2025 et pourquoi pas plus loin ?

À l’évidence, « non », pour les joueuses dans le groupe. À l’évidence « oui » pour les joueuses qui n’y sont plus ou qui n’y seront plus. À l’évidence « oui » pour le football féminin, si tout cela ne donne rien.

Les générations ne se trouvent pas sous le sabot d’un cheval et quand tu en as une, tu n’es pas sûr d’en avoir une autre.

La France a l’inconvénient d’avoir l’Olympique Lyonnais au sein de son patrimoine et quand tu as une équipe qui gagne, perd, récupère des titres européens pour en faire un collier de huit sur les dix dernières années et deux finales ; que le PSG suit avec deux finales, il ne faut pas être surpris que la grande majorité, voire la totalité, conjugue la France avec comme seul objectif, un titre.

Il suffit d’écouter l’émission télévisée de l’Équipe sur la chaîne 21, le soir de la finale européenne. Un journaliste de Libération, pas plus connaisseur qu’un autre du sujet, a mis le poing sur la table avec un argument que tout le monde sait comprendre « avec l’OL, championnes huit fois de l’Europe, on doit avoir un titre ! »

Il y a là, la seule réalité qui a encadré les Bleues depuis 2010 et les années qui ont suivi.

Vincent Duluc, une référence dans l’écriture sportive du journal l’Equipe tweete ceci.

Je suis assez d’accord. Je pose une question différente, 2024 et pourquoi pas 2025 : la question n’est pas le renouvellement qui ne me pose aucun problème ; la question, en France, est : la stratégie pour un titre ? Car c’est à chaque fois ce que l’on mettra sur la table.

Elle a dû apporter les réponses au Président Noël Le Graët.

À moins que, plus subtil, l’idée ou la règle est de ne pas faire de l’ombre à l’OL avec tous ses investissements et de naviguer, dans son ombre ou pas très loin.

William Commegrain Lesfeminines.fr

Que gagnent les coachs de la Ligue 1, saison 2021-2022 ? (sportune.fr)

21-22-LFP-CHARTE-FOOTBALL-PRO-01-07-1.pdf (unfp.org)