Une nouvelle fonction prend de l’essor dans les clubs majeurs de la D1F Arkema, celui de directeur sportif. Un poste qui indique de la hauteur dès lors que le mot « directeur » a un sens mais dont on connaît mal les contours au quotidien. Interview très complet avec Jean-Louis Saez, titulaire de la fonction au Montpellier Hsc, dans le Top four du championnat, ex-coach de la D1F pendant six saisons.

Pourquoi cette fonction ? 

En remontant six ans en arrière, après le coach, rien n’existait dans le football féminin. Les bancs étaient garnis de bénévoles avec les qualités et limites cependant qui vont avec. Aujourd’hui, à Montpellier, « On a Kader Ferhaoui (ex-international algérien, huit ans au Mhsc) qui s’est intégré aux féminines, quatre formateurs diplômés, une structure et des moyens » et l’évolution du football féminin nous demande de créer un poste supplémentaire. Quand j’étais coach, je devais préparer « les séances, regarder les matches étrangers pour prévoir, regarder tous les matches de la D1F. Anticiper les futures arrivées et les formations. C’est quelque chose qui est devenu impossible à faire pour une seule personne ».

Le directeur sportif prend en charge ces fonctions et laisse le coach travailler sur le terrain avec son groupe.

Quel contenu plus précis ? 

A discuter avec Jean-Louis, chaque club a une mission spécifique et différente à remplir. Par exemple, Bruno Cheyrou avec le PSG n’avait que la D1F et les U19 en charge. Sonia Bompastor s’occupe elle de la formation. Ulrich Ramé à Bordeaux a aussi un autre contenu. Celui de Jean-Louis Saez, à Montpellier est lié à un projet qu’il a proposé dans le cadre d’une identité de formation que possède le club qui est son ADN. « Il ne faut pas s’égarer par rapport aux objectifs » dira le montpelliérain de coeur et d’esprit.

Quand on parle formation, cela veut dire détection. « Je suis allé sur mon territoire voir tous les matches des U11, 12, 13 ans pour pouvoir faire un état des lieux. Je sens qu’il y a des choses qui se passent sur les terrains le Samedi. Quand je vois un petit match de garçons ou de filles, cela se rapproche dans l’idée directrice commune que nous recherchons. On voit de bonnes petites ».

Une détection qui se fait néanmoins sur la base de valeurs. « On recherche des filles qui ont un comportement collectif, le sens du partage, du jeu sans ballon et de la technicité. Sur ce dernier point, les filles arrivaient à 14-15 ans, aujourd’hui, on voit qu’elles entrent plus jeunes dans la formation. Elles possèdent des atouts plus tôt. » 

Mais le critère essentiel est au-delà du football. « On leur propose une charge de travail plus conséquente dès lors qu’elles ont des notions de partage, de comportement, d’attitudes qui correspondent à nos valeurs et qu’elles adhérent à l’idée d’une scolarisation de qualité qui puissent les amener à un BAC+3 comme Valérie Gauvin, Marion Romanelli, Marion Torrent, etc .. »

« On est sur ce que j’appelle, non pas un double projet mais un triple projet. » Principes partagés par la DTN qui est venu les auditer comme chaque année. « L’idée et le projet est de former pour les amener à la D1F à Montpellier ou ailleurs, mais plutôt à Montpellier. C’est un projet dont on verra les premiers résultats dans trois à quatre ans ». 

Une stratégie locale

D’autres comme le PSG sont à l’international. Montpellier a décidé de développer son recrutement localement. Sur quelles bases ? D’abord, le Mhsc ne chamboule que rarement son effectif à moins d’être en fin de cycle. « Deux ou trois départs par saison pour autant d’arrivées ». Une première stratégie espagnole et suédoise réussies pour maintenant revenir à de l’interne. Le départ de Sakina Karchaoui étant prévue par « l’intégration de la jeune Ines Belloumou (18 ans) et l’arrivée d’une joueuse plus expérimentée pour s’associer et faire la saison à deux ».

Faire du local suppose rencontrer et développer des messages de proximité dans un intérêt réciproque et bien compris. « On a des petits clubs qui travaillent bien. Lattès, Gignac, et d’autres. Il ne s’agit pas que le gros mange le petit. Cela peut-être frustrant pour un éducateur qui voit sa meilleure joueuse partir. Je veux décloisonner cela. Proposer aux meilleures de travailler pour atteindre l’élite mais aussi, si elles n’y arrivent pas car les places sont chères, leur offrir une solution de repli en allant dans nos clubs partenaires pour s’épanouir ». 

Répondre à cet équilibre : « Quand une fille est dans un groupe trop élevé, mieux vaut qu’elle aille dans un autre club. A l’inverse, pour certaines, offrir la possibilité à de bonnes joueuses de s’épanouir en se confrontant aux meilleures. »

Quels sont les indicateurs que tu as relevé du football féminin pour t’aider à poser une stratégie pour Montpellier ? 

  • « On est encore trop court en terme de licenciés pour obtenir les mêmes résultats qu’avec les garçons, où la formation française a sorti des talents en tant qu’attaquants ». Il faut donc trouver des voies complémentaires.
  • « L’inflation des salaires, concernera dans le futur surtout les 5 grands clubs masculins qui veulent postuler à la Coupe d’Europe, mais ne correspond pas encore au marché féminin. 
  • « La limite financière des salaires actuels est justifié par le manque de recettes. Tout se fait sur fonds propres et cela rencontre des limites économiques justifiées. Il manque de spectateurs, de spectacles et de sponsors pour l’ensemble des clubs. »
  • Il y a encore des choses à faire de qualité pour chercher des talents dans certains pays dans le cadre de la grille de rémunération du Mhsc. 
  • « Attention à une trop forte athlétisation des joueuses qui va au détriment de la technique du football, source première d’intérêt du football féminin et de son spectacle ».
  • « les joueuses auront besoin d’un triple projet pendant encore un certain temps avant que la professionnalisation, en cours de réflexion avec l’initiative de mon Président Laurent Nicollin, n’ait les moyens de résoudre cette situation pour le plus grand nombre ». 

Le directeur sportif a-t-il la main mise sur le recrutement de nouvelles joueuses ? 

« Celui qui a la main mise sur le recrutement, c’est le coach. Il est illusoire de croire que l’on peut imposer une joueuse à un coach. C’est peine perdue. Le rôle du directeur sportif, après que la demande ait été formulée par le coach, c’est de proposer une liste de joueuses et des arguments pour que la décision se fasse. C’est toute sa partie recherche, suivie des joueuses extérieures, profil, qui va lui permettre de proposer des solutions intéressantes. Le tout dans le cadre d’une approche financière qui correspond à la grille de rémunération du Mhsc, défendu juridiquement par notre DAF qui prend en charge cette partie ». A Montpellier, c’est un travail d’équipe transversal.

Pour terminer, un projet structurel tient à coeur à Jean-Louis Saez. Une compétition nationale en U17F à créer

« On a un vrai problème. Aucune compétition n’existe pour cette tranche d’âge. Chez les U19F, on associe les U16, U17, U18 et U19. Quatre tranches d’âges pour onze places de titulaires. Qui joue ? Une U16, une U19 ? Et que fait-on de celles qui ne jouent pas ? Elles jouent en DH mais terminent les matches avec des 12-1, 11-0. C’est démotivant pour elles et peu formateurs. 

Avec mes collègues directeur sportif (Sonia Bompastor, Ulrich Ramé » et j’espère prochainement Laure Boulleau, nous allons militer pour la création d’un championnat U17F qui puisse permettre aux jeunes talents de rester dans des compétitions formatrices de meilleures qualités. »

Voilà, une sélection de notre discussion qui met en avant plus précisément le travail d’un directeur sportif, entre anticipation et réalité, qu’ont peut résumer en deux mots « Se projeter sur l’évolution du football féminin sans s’égarer par rapport à son identité ».

William Commegrain Lesfeminines.fr