Le Président de la FIFA, Giani Infantino, a lancé l’idée que la prochaine Coupe du Monde se ferait à 32 équipes plutôt qu’à 24. Sans vouloir entrer dans un débat qui serait irrévérencieux, ne disposant pas des informations dédiées à une telle décision, je me permets de livrer une analyse légèrement différente tout en restant dans la même dynamique : le développement du football féminin.

J’ai observé dans ce Mondial plusieurs indicateurs qui obligent à les prendre comme des points de repères dans un cadre décisionnel.

Sept matches, c’est l’extrême limite actuelle du football féminin.

  • Sept matches (24 équipes) dans un tournoi est une limite actuelle du football féminin. Les joueuses de la finale du Mondial 2019 n’avaient plus d’énergie à proposer. Elles ont joué sur ce qui leur restait de disponible. C’était déjà le cas en 2015 au Canada avec un score final (5-2) lié à la différence physique entre les américaines et les japonaises démontrée avec un (4-0) américain en 17′.
  • La petite finale s’est jouée « à bout de souffle » pendant 20 minutes par la Suède. Il a fallu un risque incroyable et merveilleux de la Suède pour qu’il en soit autrement, mais les Pays-bas n’avait plus rien à produire au Groupama Stadium. L’Angleterre, avec 7 matches, a été incapable de bouger la Suède, très défensive, dans la 2e mi-temps. Physiquement, dans l’incapacité de faire une différence.
  • On a vu que pour les Pays-bas et la Suède, une prolongation demi-finale déséquilibrait leurs chances de postuler à un résultat.

Augmenter le nombre de matches avec plus d’équipes va avoir plusieurs conséquences qu’il convient d’avoir à l’esprit :

    • Une finale mondiale, vu par 100 millions de téléspectateurs dans le futur, qui a de fortes chances d’être sans consistance. Les équipes étant plus proches, on risque d’avoir bien plus de demi comme des quarts en prolongations. Les joueuses arriveront en finale éreintées. Le match phare vu par une centaine de millions de spectateurs sera peu attractif et il risque de se décider sur un coup du sort. Au mieux dans le jeu, au pire sur un pénalty pour une faute inutile liée à la fatigue qui ne manquera pas d’être vu par la VAR.
    • Le jeu asiatique est un jeu en mouvements qui demande une excellente condition physique. Il est très performant en U20 (championne du Monde) mais l’est beaucoup moins chez les A, en raison de la force physique des concurrents. Encore plus de matches à jouer va creuser inévitablement le fossé entre le football asiatique très technique et celui européen et américain, bien plus physiques. Si le Japon surnage encore, la Chine risque de disparaître.
    • On s’éloigne des 2/3 de la population humaine. Ce faisant on va créer un produit « europe-amérique » et mettre de côté une zone d’achalandise des 2/3 de la population humaine dans les décennies à venir.

Les joueuses de football féminin explosent bien plus tard que chez les hommes.

  • Les joueuses qui se sont exprimées au mieux de leur talent ont 30 ans et plus. En 2015, il s’agissait de Carli Lloyd (32 ans), ballon d’Or et Soulier d’Argent au Canada. Meilleure joueuse FIFA en 2015 et 2016. En 2019, Megan Rapinoe (34 ans), Ballon et Soulier d’Or. Alex Morgan (30 ans), Soulier d’Argent avec Ellen White (30 ans). Sari Van Veenendaal, gardienne et Gant d’Or pointe à 29 ans.
  • A partir des 1/8e de finale, une jeune joueuse titulaire sur le pitch avait 24 ans. Pas moins, à l’exception de Giulia Gwinn, latérale de la Mannschaft.

En ne créant pas de compétitions après les U20, les pays qui travaillent le développement du football féminin perdent 80% de leur travail. Les jeunes joueuses, encore en cours de formation ne peuvent postuler à une place de titulaire, hormis pour les talents exceptionnels, et même celles qui sont dans le groupe des A se contentent de regarder sur le banc le plus souvent.

Une frustration qu’elles doivent apprendre à gérer, bien inutile à un âge où la nature commande d’agir au lieu de contempler. Certaines s’éloignent du football féminin et la plupart perdent leurs qualités.

En conséquence, on s’aperçoit qu’il n’y a même aucune corrélation entre les succès chez les jeunes et les résultats en A.

Les victoires des jeunes ne sont pas significatives.

Le tableau se bloque volontairement en 2012 pour les U20. En 2019, la même joueuse de 20 ans aurait eu 27 ans en 2019. L’âge « souvent » limite pour reprendre une nouvelle sélectionnée. La performance des joueuses de plus de 27 ans se retrouvent au niveau de la Coupe du Monde 2015 voire 2011 pour les plus âgées ou celles qui sont entrées très jeunes dans l’Equipe nationale.

Vous retrouvez cette « image » avec les sept colonnes (rouges foncées) du tableau.

  • Les Pays-Bas (2e), quasiment jamais qualifiés pour le Mondial des U20 ce qui signifie qu’elles n’ont jamais été dans le dernier carré de l’Euro précédent réalisent depuis deux ans les meilleures performances mondiales (Euro 2017 et Finaliste de la Coupe du Monde 2019) avec les mêmes jeunes issues, sélectionnées ou non dans leur tranche d’âge de l’époque.
  • Même raisonnement avec l’Angleterre (4e), non qualifiée deux fois. Une première apparition significative seulement en 2018 dont on verra les effets en 2022 au plus tôt.
  • La Suède (3e). Trois fois non-qualifiées pour la Coupe du Monde U20 sur six années d’intervalle. Une qualification qui se joue à l’Euro U19, réservé au dernier carré. Ce qui signifie qu’elles ne sont jamais allés à ce niveau pour les CM concernés.
  • Les USA (1er), habituels premiers mondiaux, décroissent graduellement dans cette tranche d’âge depuis 2012. Sans souci sur les résultats des Mondiaux.
Pays CM U20 COUPE DU MONDE
Coupe du Monde 2019 2018 2016 2014 2012 2019 2015 2011 2007 2003 1999 1995 1991
Japon 1er 3e NQ 3E 1/8 4e  1er 1T 1T 1T 1/4 1T
Chine 1erT NQ NQ 1T 1/8 1/4 NQ 1/4 1/4 2e 4E 1/4
Corée du Sud NQ 1erT 1/4 1/4 1T 1/8 3e NQ 1T NQ  NQ NQ
Thaïlande NQ NQ NQ NQ 1T 1T 3e NQ NQ NQ  NQ NQ
Australie NQ NQ NQ NQ 1/8 1/4 1/4 1/4 1T 1T 1T NQ
Cameroun NQ NQ NQ NQ 1/8 1/8 NQ  NQ  NQ  NQ  NQ NQ
Afrique du Sud NQ NQ NQ NQ 1T NQ NQ NQ NQ NQ  NQ NQ
Nigeria 1erT 1erT 2e 4E 1/8 1T 1T 1T 1T 1T 1T 1T
Etats-Unis 1erT 4e 1/4 1ER 1er 1er 2e 3e 3e 1er 3e 1ER
Canada NQ NQ 1/4 1T 1/8 1/4 1T 1T 4e 1T 1T Gpe
Jamaïque NQ NQ NQ NQ 1T NQ NQ NQ NQ NQ NQ NQ
Brésil 1erT 1/4 1erT 1T 1/8 1/4 1/4 2E 1/4 3e 1T 1T
Chili NQ NQ NQ NQ 1T NQ NQ NQ NQ NQ NQ NQ
Argentine NQ NQ NQ 1T 1T NQ NQ 1T 1T NQ NQ NQ
France 4e 2e 3e NQ 1/4 1/4 4E NQ 1T NQ NQ NQ
Allemagne 1/4 1/4 1er 2E 1/4 4e 1/4 1er 1er 1/4 2E 4E
Ecosse NQ NQ NQ NQ 1T NQ NQ NQ 3e 1/4 NQ NQ
Italie NQ NQ NQ 1T 1/4 NQ NQ NQ 3e 1T NQ 1/4
Angleterre 1/2 NQ 1erT NQ 4e 3e 1/4 1/4 1/4 NQ 1/4 NQ
Espagne 2e 1/4 1/4 NQ 1/8 1T NQ NQ NQ NQ NQ NQ
Pays-Bas 1/4 NQ NQ NQ 2 1/8 NQ NQ NQ NQ NQ NQ
Norvège NQ NQ NQ 1/4 1/4 1/8 1T 3e 1/4 4e 1ER 2E
Suède NQ 1erT NQ NQ 3E 1/8 3E 1T 2E 1/4 1/4 3E
Nouvelle-Zélande 1erT 1erT 1/4 1T 1T 1T 1T 1T NQ NQ NQ 1T
Corée du Nord (pour indic.) 1/4 1er 4e 1/4 NQ 1T 1T 1/4 1T 1T NQ NQ

La France d’abord, l’Espagne ensuite, sont des exemples de réussite chez les jeunes que l’on ne retrouve pas en A.  Toujours qualifiées depuis ces années étudiées et sans effet direct en A, autrement que d’y jouer mais sans le même résultat. La Corée du Nord en est aussi l’exemple, voire le Japon.

Du côté français, on voit une perte de joueuses incroyables après cette tranche d’âge des 20 ans. Obligée de partir jouer dans des « petits clubs » car sans possibilité de prendre une place de titulaires auprès des trois premiers du championnat à moins d’un talent, elles descendent de niveau et partent logiquement sur d’autres projets. Peu intéressées à regarder les performances des autres, préférant s’occuper de la leur.

Ce n’est pas sain d’avoir des jeunes de moins de 24 ans qui regardent, sans agir, sur un banc. Les jeunes apprennent en faisant. Vu l’éclosion plus tardive des joueuses, une compétition U23 s’impose.

Chez les féminines, on parle de jeunes jusqu’à 24 ans. Elles mettent plus de temps à entrer en maturité dans une équipe pour en devenir des cadres. A l’inverse, comme dans de nombreux systèmes matriarcaux, les aînées -au delà de la trentaine – prennent le leadership.

Seules les joueuses à grand talent passent directement chez les A, si le niveau le permet comme Pugh aux USA. Diani pour la France, Miedema pour les Pays-Bas. On voit par exemple des françaises comme KATOTO, GEYORO, KARCHAOUI jugées au niveau mais ne jouant pas. Le jeu et le niveau des A demandant maturité, les titulaires restent longtemps en place ne faisant passer que les excellentes jeunes alors que l’éclosion de la joueuse peut se faire plus tard. Là perdue.

La maturité des filles étant plus tardive en football, ne faudrait-il pas créer des compétitions internationales (FIFA-UEFA) pour des U23 pour éviter de perdre des talents exprimées en U20 et qui disparaissent avec le temps ? La Suède et les USA ont deux sélections U23.

Elles pourraient se jouer les années des Mondiaux U20 et compléteraient un plateau déjà organisé. Les qualifications se faisant pour les équipes nationales ayant fait les 1/8e des Mondiaux A précédent.

Les pays prenant les Mondiaux U20 ayant un produit plus complet à proposer aux médias.

Une idée jetée sur un double constat. Il faut attendre la trentaine pour l’expression d’une réussite chez les joueuses. Elles n’apparaissent qu’à 24 ans et trop disparaissent avant. Les pays qui travaillent chez les jeunes, « travaillent » pour une gloire inutile. Le produit FIFA s’arrêtant à 20 ans. Au-delà de sept matches dans un tournoi féminin, le spectacle d’une finale est synonyme d’ennui mortel pour le développement du football féminin et c’est condamner tous les pays asiatiques pour la course au titre.

Il faut une compétition mondiale U23 pour faire vivre ces talents, sinon elles s’éteignent.

William Commegrain Lesfeminines.fr