Claire Gaillard, journaliste à l’Equipe de 2009 à 2017, responsable de la presse et de la communication pour la Coupe du Monde 2019, la trentaine tout juste abordée, sort la veille d’un J+1 sur Canal Plus avec Erwan Le Prevost, directeur du Comité d’organisation Local du Mondial 2019 à (J-10) de l’ouverture. En plein coeur de la 8e Coupe du Monde FIFA qu’elle nous livrera dans moins de 9 jours. Ereintée de cette magnifique expérience « d’être au coeur de la machine, de la conception, réalisation et maintenant, livraison dans quelques jours » à l’approche du premier mondial féminin en France et certainement du dernier français.

« Pas avant au moins 30 ans ! » précise Noël le Graët dans son superbe ouvrage « La Grande Histoire des Bleues » où se confronte tous les témoignages de ceux qui ont jalonné ces Bleues que la France entière est prête d’adorer.

Une véritable bible de 219 pages. Deux ans de travail à partager avec un programme au Comité Local d’organisation qui nous prend du « 6 sur 7, voire du 7 sur 7 ; tellement on veut que les choses soient parfaites », qui nous amène à découvrir un ouvrage « de témoignages » pour lequel « je me suis passionnée, d’aller à la rencontre des joueuses, de créer ce travail d’auteure ».

Claire ne s’éloigne pas des Bleues. Elle les travaille en journaliste. Questions précises, celles pour les découvrir mais aussi celles qui sont restées sans réponse et qui là, se livrent. Des coins d’ombre s’illuminent. On comprend mieux. On comprend juste. On apprend l’intérieur de ce qu’elles ont vécu.

Au lendemain du Festival de Cannes, Claire, réalisatrice de sa passion choisit deux angles pour éclairer ces trente ans de la Vie des Bleues.

D’abord les pionniers, ceux et celles qui ont planté les premiers drapeaux. Les aventuriers de l’impossible, le rendant possible. Puis, parmi les plus de 313 en Bleues, le tamis « de ce qui est le moins subjectif .. Le nombre de sélections ». Alors au club des quinze centenaires, elle ne rajoutera qu’Amandine Henry, capitaine des Bleues, qui en aurait été sans une trajectoire bousculée.

Un choix complété par les possibles 23 au moment de l’édition afin de faire le lien avec le futur des Bleues. Sans oublier l’environnement, l’institution. Les moments clés. 2011 avec ce Mondial qui a laissé Nöel Le Graët interpellé de tant de public en Allemagne. Tout y est. Tout ce qui explique les Bleues d’aujourd’hui.

Les joueuses ont joué le jeu et Amandine Henry seule à moins de 100 nous dit à quel point sa via a changé avec son but au Mondial 2015 qui a soulevé la planète football. Wendie Renard et la force incroyable qu’il faut pour quitter la Martinique à 17 ans pour se retrouver seule en métropole afin d’y jouer au football, sport alors sans rémunération. Avec un slogan que j’ai retenu « Être forte dans les deux surfaces de réparation ». Camille Abily, meilleure joueuse mondiale certainement et sa justesse. Gaetane Thiney et ses choix de vie. Louisa Necib, épanouie comme mère et ses souvenirs. Sarah Bouhaddi et sa force mentale. Marie-Laure Delie qui voulait inscrire son nom. Sonia et sa nouvelle vie. Sandrine et son humilité. Elodie et sa caméra pour regarder les autres. Lotta qui m’avait scotchée à Maquin, devant Juvisy. Une gitane qui jouait un tango avec la balle. Pied gauche, pied droit. Pas à droite, pas à gauche. Du diamant toutes ces filles. Et tant d’autres. Tout y est. Tout et même plus. A lire impérativement pour ceux qui suivent ou découvrent les Bleues en 2019.

France

Bleues : « Si tu veux savoir qui tu es, regarde d’où tu viens ! »

Lesféminines.fr Bonjour Claire, tu as fait un travail de journaliste. Journaliste, c’est quoi ce métier ? »

Claire Gaillard. Être journaliste, c’est raconter des histoires, enquêter. Ouvrir les yeux, enfoncer des portes pour que le grand public apprenne des choses, s’y intéresse. Spécifiquement sur le football féminin qui a un peu moins de visibilité que le football masculin même si, on va être dans un dispositif identique à celui de la Coupe du Monde en Russie. Comme tu le sais, il a fallu de longues années pour en arriver là. Ce livre a été l’occasion pour moi de restituer les témoignages des acteurs et actrices qui ont participé à l’éclosion du football féminin.

Lesféminines.fr Ce livre est superbe. Il est à mettre dans les bibliothèques. Quelle a été sa ligne directrice ?

Claire Gaillard. J’ai souhaité mettre en lumière les joueuses. Mettre en lumière les premiers et les premières, les pionniers et les pionnières. Première buteuse en match officiel Jocelyne Ratignier, les premiers sélectionneurs qui ont planifié l’équipe de France pour une phase finale avec Aimé Mignot pour l’Euro 97. Elisabeth Loisel pour la première qualification en Coupe du Monde (2003). Les premiers dirigeants qui ont permis la structuration du football féminin en 2001 avec Louis Nicollin et Jean-Michel Aulas en 2004 qui donne les mêmes structures aux filles. Le Président Le Graet dans la foulée de sa nomination qui a mis en place le plan de féminisation après la Coupe du Monde 2011 en Allemagne.

Après pour les joueuses, il était impossible de traiter les 313 joueuses en Bleue. Il a donc fallu faire un choix d’auteure que l’on peut comprendre ou non. Le mien a été celui que je pense le moins subjectif possible : les centenaires en sélection. J’ai donc choisi de faire un focus sur le club des centenaires.

Quinze sont présentées de manière assez complètes en fonction de ce qu’elles ont voulu me raconter et Corinne Diacre est mise à part puisqu’elle a acceptée de faire la préface de cette ouvrage en tant que sélectionneure de l’Equipe de France féminine.

J’ai juste rajoutée Amandine Henry, la capitaine des Bleues pour cette Coupe du Monde et qui sera, je lui souhaite, centenaire en 2020.

On navigue pas loin de 30 ans de football, de 1992 à 2019. C’est une belle période et c’est ce qui m’a plu.

Lesfeminines.fr Quelles sont les histoires qui t’ont faites chavirer ?

Claire Gaillard. Les débuts au foot. Ces joueuses là, et j’intègre les 313 internationales et toutes les joueuses qui se sont mises au foot, dans cette période, cela a été difficile pour elles. Il leur a fallu un mental fort, s’accrocher parce que parfois, il y a des moqueries, des critiques, des gestes déplacés (gifle sur Camille). L’anecdote est significative. Je pense que les joueuses ont rencontré des difficultés.

Personnellement après avoir vu la Coupe du Monde 98, j’ai demandé à mes parents si je pouvais faire du foot. Ils m’ont dit non, continue la danse. Après je n’avais pas de prédispositions pour les sports collectifs donc je pense qu’ils ont eu raison. Néanmoins c’était ce qu’on pouvait entendre à la fin des années 90 au début des années 2000.

Ensuite, l’origine avec des profils différents. Celui de Sonia Bompastor avec sa famille, ses cousins, sa famille qui jouent au foot et qui vous amènent sur les terrains. Un autre profil avec des joueuses qui viennent d’un autre sport, une Wendie Renard qui avait énormément d’énergie ce que je ne savais pas. Elle multipliait différents sports dans le week-end, foot, athlétisme, triathlon. Elle est venue au foot parce qu’elle aimait le sport tout simplement. D’autres ont cassé les codes. Louisa Necib nous dit qu’elle faisait de la gym. C’était le kiff de ma mère. « Elle me préparait, me faisait le chignon, m’aidait à mettre mon body » et comme elle était à Marseille, une terre de foot qu’elle pratiquait au bas de son immeuble. Un club se monte, elle y va. Joue et devient le kiff de son père.

Parmi les autres histoires, je mettrais Gaetane, car je ne savais pas qu’elle avait refusée Clairefontaine. Sur les trois années, elle a, à chaque fois, refusé. Elle l’a payé en n’étant pas sélectionnée en Equipe de France des jeunes. J’ai aimé son témoignage car certaines jeunes filles peuvent s’y retrouver. Elle a souhaité vivre sa vie d’adolescente, de jeune adulte avec ses copains. Sa mobylette. Elle était indépendante, elle le dit : elle ne voulait pas passer à côté de sa jeunesse. C’est assez drôle alors qu’elle y est actuellement pour préparer la Coupe du Monde.

Cela m’a marqué car on propose un cadre de formation mais tout le monde n’est peut-être pas fait pour ce cadre et cela n’empêche pas de réussir. De la même manière, elle a mené de son propre chef, une carrière en dehors du foot en jouant aussi au plus haut niveau alors que beaucoup de joueuses souhaitent avoir un contrat professionnel. Elle trouve son équilibre en étant dans les deux, et je trouve que c’est un argument à faire entendre car le football féminin n’est pas aussi développé que le football masculin. Il faut toujours rêver car on en a tous besoin, mais il faut aussi penser à l’après. Il faut anticiper à avoir un métier et un travail tout en jouant sa carrière. Au final, ce choix ne lui a pas porté préjudice car on s’aperçoit qu’elle n’a pas eu beaucoup de blessures. Elle a manqué très peu de matches dans sa carrière, alors qu’elle est actuellement la joueuse la plus expérimentée de la D1F.

Lesfeminines.fr Je relativiserais. Gaetane avait les capacités, ce que tout le monde n’a pas. La qualité de Gaetane c’est qu’elle se connait.

Claire Gaillard. C’est vrai. Il faut savoir se regarder. Qui suis-je et où j’ai envie d’aller ? C’est une fille avec beaucoup de maturité. Tout le monde n’a pas les mêmes capacités physiques ou prédispositions intellectuelles. Néanmoins, il y a plein de métiers qui existent. On peut avoir plein de formations, et je reste persuadée qu’il y a un métier pour chacun.

Les féminines.fr Il y a une chose qui m’a marqué dans leur choix et parcours. C’est le collectif et le partage. 

Claire Gaillard. Le collectif ressort dans beaucoup de témoignages. Louisa, c’est une des raisons qui la pousse. En dehors de ses qualités, elle le dit. La gym est un sport individuel avec le football, on partage les émotions. La joie, la peine. Ces émotions là, on le ressent dans beaucoup de témoignages.

Wendie est un exemple. A 15 ans, elle arrive à être la première joueuse à entrer dans le Pôle Espoir des Îles pour quitter la Martinique à 17 ans, être refusée à Clairefontaine. Son CTR de la Martinique la met en contact avec Fred Labiche qui arrive à convaincre Farid Benstiti à Lyon. Elle ne quittera plus l’OL (2006-2019) et le dit elle-même : « je n’ai qu’une envie, c’est de gagner ». Il y a une volonté forte de s’imposer, de vivre son rêve. Mais en revanche, elle est capitaine de l’Olympique Lyonnais, elle a fait partie de tous les titres et je pense que depuis qu’elle est à Lyon, le collectif prime avant tout.

Lesféminines.fr 35 interviews. Qu’est-ce qui t’as surpris ?

Claire Gaillard. Elodie Thomis, j’ai été marquée par son arrivée dans le foot. Encore une autre trajectoire. Elle pratiquait l’athlétisme alors qu’elle n’y connaissait rien au foot. Avant de renouveler, elle voit un tournoi pas loin. Elle explose les scores de vitesse et on lui dit de prendre une licence. Derrière, elle raconte les critiques qu’elle a vécu sur son manque de technique. Quand je suis face à elle, cela me touche car elle l’a trop entendue. En oubliant que quand vous allez aussi vite qu’elle, vous n’avez pas la même lucidité pour centrer au second poteau sur la tête de sa partenaire. « Regarde avec Usain Bolt qui s’essaie au football ! »

Elle a apporté autre chose au football. C’est elle qui a crée la percussion et je suis persuadée que c’est le futur du football féminin. Tu parlais de collectif et je suis persuadée que chaque joueuse doit apporter ses qualités propres. Si on a onze fois les mêmes joueuses, je pense qu’il n’y aura pas de folies.

Lesfeminines.fr Cette histoire des Bleues, quand tu l’as lit avec intérêt. Tu vois que les émotions négatives ont été significatives.

Claire Gaillard. Il y a des regrets autour de cette équipe de France. La défaite a fait mal. Elles sont compétitives. Elles ont envie de gagner et cette équipe a eu du grand talent. (intervention : Un diamant. Elle en a encore. En 2011, cela a été un tourbillon. En 2012, elle confirme aux JO. Ensuite, il aurait fallu ce podium, cela aurait permis de gommer ce regret qui ressort dans tous les témoignages.

Lesfeminines.fr C’est peut-être la chance de cette équipe qui a moins de talents mais qui a besoin de refermer la blessure, joueuses et Corinne Diacre qui l’a vécu et la comprend.

Claire Gaillard. Cette forme d’échecs peut servir l’Equipe de France. L’expérience accumulée, négative comme positive, doit leur permettre de se surpasser dans l’épreuve. L’épreuve qui peut être le match d’ouverture au Parc des Princes, à guichets fermés avec une forte pression populaire, médiatique mais aussi sportive pour elles. Mais avant tout, d’arriver à se rappeler pour celles qui ont vécu 2011 ou 2015, au moment de rencontrer les forts du Mondial, toutes ces histoires pour se surpasser et emmener les autres.

Lesfeminines.fr Un Mondial, c’est une lumière incroyable et Amandine Henry le raconte très bien avec son but face au Mexique qui lui a donné une notoriété incroyable.

Claire Gaillard. Amandine le raconte. Elle n’a pas fait 2011 et 2015 était sa première Coupe du Monde. Effectivement, elle change de monde. Le monde la découvre avec ce but face au Mexique qui est un des plus beaux de la compétition. C’est le 3e match de la phase de groupe. On est à Ottawa. Les Bleues mènent. Sportivement, il n’y a pas d’enjeu. Elle décroche une magnifique lucarne. Et elle le dit, ce but a changé ma vie. Un but qui fait le tour du monde, elle décroche le Ballon d’Argent. La puissance d’une Coupe du Monde, je ne la mesurais pas.

Les médias la découvrent. Elle enchaîne avec l’OL. Elle prend le risque de partir pour Portland. Le pays où le soccer est roi. Pratiquer son anglais et du coup, on parle d’elle. Elle rentre à Lyon, capitaine de l’Equipe de France. C’est une des stars de cette Equipe. C’est certain.

Elle s’est bien entourée. C’est nécessaire quand ont est dans ces sphères là. Et elle souhaite porter un message hors foot qui est celui de la féminité. Je suis une sportive mais je suis aussi une femme. Et ce message pour moi, fait sens. Je pense que les petites filles ont besoin de s’identifier à des joueuses, et elle fait partie des joueuses qui peuvent l’être. Comme Eugènie Le Sommer et Wendie Renard en font partie.

« Crois en tes rêves ! »

 

Lesfeminines.fr Un très bel ouvrage quand même !

Claire Gaillard. On a vu avec Hachette qu’il y avait très peu d’ouvrages sur les Bleues. C’était intéressant d’en parler, de les mettre en lumière. Il va y avoir d’autres livres avec d’autres angles, et c’est très bien. Tant mieux. On a cette Coupe du Monde et c’est le moment de le faire. On aime le football pratiqué par les femmes ou on ne l’aime pas. Ce n’est pas un souci. Moi, j’aime le football. Point barre.

Je raconte cette histoire car j’aime le football. J’ai eu la chance de les suivre au Canada 2015 et aux JO 2016 au Brésil en tant que journaliste de l’Equipe mais j’ai suivi le Mondial 2018 en Russie de la même manière.

Lesfeminines.fr Claire et cette passion du football, d’où vient-elle ?

Claire Gaillard. La Coupe du Monde 1998. J’ai regardé mes premiers matches à ce moment-là. J’ai aimé les émotions avant d’aimer le jeu. Je ne connaissais pas les règles du jeu. J’ai aimé les émotions, le partage avec la famille, les amis. Cela m’a amené à suivre cette Equipe, lire les articles sur Elle, les joueurs que j’aimais bien.

De fil en aiguille, au lieu d’acheter les magasines People pour savoir où ils partaient en vacances, j’ai acheté l’Equipe, France Football et j’ai regardé les matches de L1 pour retrouver ces joueurs que j’aimais tant. J’ai appris les règles du jeu car ma famille ne sont pas de gros fans de foot. Je me suis abonné, j’aillais au Parc et en fin de collège, j’écrivais sur mes fiches : « je veux devenir journaliste sportive, et écrire dans la rubrique foot de l’Equipe ! » Ce qui faisait sourire mes enseignants et même mes parents.

Lesfeminines.fr Tu peux dire comme Amandine Henry, « Crois en tes rêves ! »

Claire Gaillard. Exactement. L’anecdote d’Eugènie Le Sommer qui écrivait aussi sur ses fiches « footballeuse professionnelle » est la même. Quand on en a discuté, cela a fait sens pour moi. Je crois qu’il y a différentes façons de vivre sa passion.

En jouant, en arbitrant, en étant bénévoles, en étant dirigeant à insuffler des choses pour que cela change. Chacun à notre niveau, on peut vivre notre passion. Il fait juste trouver le moyen de la vivre.

Un bel ouvrage à acheter. Vous apprendrez beaucoup de choses. Un travail de journaliste avec des Bleues qui ont dit leurs vérités.

William Commegrain Lesfeminines.fr

La Grande Histoire des Bleues.

  • Hachette Pratique, 219 pages. Couverture gaufrée.
  • La Grande Histoire des Bleues.
  • ISBN : 978 2 01704705 6
  • Prix : 25 €
  • Parution le 3 Juin 2019.