Camille Cordouan. En règle générale, ça commence par une histoire de stats. Ca n’explore pas une âme, ça dresse un portrait robot.

Age : 17 ans

Premier contrat pro : 16 ans

Matchs joués (à ce jour) : 20, dont 5 matchs de Women’s Champions League

Selma Bacha, c’est cette petite bouille ronde, chignon planté au sommet du crâne, qui cavale sur le flanc gauche de la formation lyonnaise, tourbillon dans les défenses, grabuge dans les surfaces, merveille de pied gauche. Ses ballons de corners : des drones téléguidés pour la tête de ses partenaires… Et mouche.

Demandez aux Marseillaises. Le 13 mai dernier, festival Bacha. Trois des sept buts lyonnais suite à un corner signé Selma.

Demandez aux Barcelonaises. Qu’on-elles pensé en voyant ce petit morceau de femme, bondir, percuter, voltiger, se replacer, trépigner, aussi ?

Et demandez-vous ce que vous ressentez, lorsque vous la voyez, les cheveux lâches, après la douche, vous expliquer de sa voix d’ado, qui laisse certains mots en suspens et les remplace par d’autres, qu’elle aspire à participer au jeu offensivement, à donner des ballons pour que ses camarades puissent marquer.

Selma Bacha, au service du jeu.

C’est un bébé de l’an 2000. Une enfant d’ici, un frère avec qui jouer au foot, un père pour l’inscrire au FC Gerland. Elle a sept, huit ans. Il y a dix ans, c’était presque une histoire exceptionnelle ! Dans dix ans, l’histoire d’une petite fille de 6 ans que son papa conduit au club de foot le mercredi sera banale.

Selma, une enfant qui depuis toujours court plus vite que les autres. Cela fait toujours une impression étrange lorsqu’une jeune femme de 16 ans signe un contrat professionnel. Mineure, sans le bac, pas le droit de vote encore, et déjà salariée d’une structure. Elle a des objectifs, veut les atteindre, elle le dit, le répète. Contrat pro, oui, c’est bien, elle pense tout de suite à la marche supérieure. Coupe du monde U20 cet été.

Bien des parents diraient à leur ado rêveuse « Passe ton bac d’abord ». Elle va passer son bac d’abord, en juin, bac STMG (sciences et technologies du management et de la gestion).

Selma Bacha, bachelière particulière. Combien de candidats comme elle, à passer cet examen supposé ouvrir les portes d’un monde d’adultes qu’elle connaît déjà ? Puis août viendra,  l’heure de boucler sa valise, rejoindre les copines, le temps de la compétition, des hymnes et des matchs. Matches avec, puis sans filet. En U20, elle pourrait jouer les vieilles briscardes. Les sélections juniors, elle les fréquente depuis un bail, depuis les U16. Le talent, elle sait qu’elle l’a. Le caractère aussi. Il n’y a qu’à écouter Sonia Bompastor, responsable du centre de formation de l’OL, ou certaines cadres du vestiaire lyonnais. Les surdoué(e)s sont toujours sûrs d’eux au départ, se parent de leurs humeurs, mais les grands joueurs ont ceci de différent qu’ils comprennent à un moment donné qu’il faut écouter les anciens pour avancer.

Coach Pedros. Capitaine Renard. La néo-retraitée Petit. L’idole Majri. Et elle, 17 ans.

Titulaire régulière dans ce que le football féminin propose de meilleur aujourd’hui, championne de France, peut-être Championne d’Europe (verdict le 24 mai), que peut encore désirer Selma Bacha quand bon nombre de ses camarades de classe attendront de recevoir un « OUI » d’une école supérieure, alors qu’elle le soulèvera peut-être devant plusieurs millions de téléspectateurs à Kiev, en avant-première d’un Réal-Liverpool. Pour une victoire historique lyonnaise, qu’elle aura eu la chance de jouer, à 17 ans.

Cette petite bouille aux yeux vifs, les crampons bien sur terre, toucherait le ciel si, au printemps prochain en 2019, de la bouche de Corinne Diacre, glissaient les deux syllabes de son nom, Bacha, sélectionnée pour la Coupe du Monde en France. Ce serait la cour des très grandes, et c’est ce que promet d’être Selma Bacha demain. Loin de la bachelière particulière.

Camille Cordouan. Ecrivaine pour les féminines.fr