Pierre-Yves Bodineau, libre de tout contrat, double champion de France U19 avec le PSG, le prenant en 2016 à l’Olympique Lyonnais, pour confirmer sa performance en 2017 face au même adversaire, jette un regard de technicien averti avec ses sept saisons auprès des U19, dans un Euro qui a donné la part belle à toutes les jeunes joueuses des nations nouvelles. Mais aussi de supporter, tant du football féminin que de l’équipe de France à tel point qu’on peut dire qu’il est un des rares connaisseurs, parmi d’autres, de la jeunesse françaises, avec ses finesses et ses subtilités.

Il était intéressant d’avoir son regard. Il nous le livre, avec ses mots, ses émotions et ses compétences.

Une maitrise tactique qui a engendré un nivellement des valeurs.

Malheureusement pour notre sélection bien sûr, et pour toutes les grosses équipes, mais pour le bonheur des amateurs de foot des filles finalement puisque, désormais, on assiste à un nivellement entre tous les participants et on constate des progrès extraordinaires, tactiquement parlant, chez l’ensemble des sélections nationales féminines.

Évidemment, nous ne nous sommes pas toujours régalés lors de cette compétition… Différentes équipes émergentes ont dû s’adapter et jouer avec leurs qualités, pour masquer du mieux que possible leurs manques. Les sélections réputées et très attendues, se heurtant à des blocs bas très compacts, n’ont pas su créer le jeu, mettre la folie nécessaire pour nous faire vibrer et sont souvent tombées  dans le piège du calcul au détriment du spectacle… Certains matchs furent « de véritables purges » pour des spectateurs qui souhaitaient découvrir ou mieux encore, donner une chance à ce spectacle, encore trop souvent comparé, décrié et dévalorisé, sous prétexte qu’il soit joué par des filles…

Mais, finalement, force est de constater que, malgré de nombreuses défaillances techniques, dues en partie à la pression de la compétition et aux consignes transmises par les staffs mais encore trop souvent aux lacunes  indissimulables de la majorité des gardiennes de but, la culture tactique des équipes s’est considérablement renforcée.  Autant, sur les trois dernières saisons, les progrès furent essentiellement constatés au niveau athlétique chez la quasi-totalité  des participants, autant désormais les progrès considérables sont davantage d’ordre stratégiques pour toutes les nations.

L’état d’esprit a été la clé pour gagner cet Euro

Ainsi, ce constat établi, il est essentiel de souligner que la différence s’est jouée, comme d’habitude, entre les équipes, au niveau du facteur psychologique, étroitement lié, on le remarquera en définitive, aux projets de jeu (et de vie) plus clairement définis dans certaines sélections que chez d’autres. Comme bien souvent, tout est une question d’état d’esprit … La majorité des spectateurs s’accordaient encore cette semaine à dire que cet Euro, bien que surprenant dans son scénario, n’était pas fameux et ne s’imposait certainement pas comme étant la meilleure vitrine du foot féminin d’élite, au grand damne non seulement des sponsors, diffuseurs et organisateurs mais surtout des acteurs quotidiens de ce sport.

Or, hier, cette finale incarna un véritable soulagement, et a sans aucun doute convaincu tous les spectateurs du jour quant au potentiel, à l’intérêt et la beauté de ce football pratiqué par les femmes. Deux équipes de caractère, qui n’étaient finalement pas arrivées là par hasard, mais évidemment par conviction: l’une, besogneuse et méthodique, emmenée somptueusement par une excellente meneuse, Pernille Harder ; l’autre, talentueuse et complète, sublimée par ses deux ailières Shanice Van der Sanden et Lieke Martens.

Une finale de rêve qu’on aurait pu rêver.

En effet, tant au niveau de l’intensité que de l’esprit, les deux adversaires, parfaits outsiders à l’origine, nous ont offert une prestation exceptionnelle. Et pourtant, par rapport à la qualité globale de cet Euro, et le niveau de jeu proposé jusque-là par les meilleures équipes « sur le papier », on pouvait craindre le pire… Les héroïnes du jour ont répondu présentes, pour notre plus grand bonheur, n’ayant pas peur de repartir de derrière, en construisant leurs offensives chacune à leur manière. Élaborant un jeu qui a permis  d’assister à une belle finale.
La fraîcheur, l’envie, la générosité, le goût de l’effort, le dépassement de soi, le plaisir ont pris le dessus durant tout cet après-midi ! Tous les ingrédients étaient réunis pour obtenir un match de qualité, entre deux adversaires qui ont joué avec leur cœur et leurs tripes, sans relâche, puisque déjà fières de leurs parcours respectifs, de s’être hissées jusque-là. Félicitations aux coachs et merci encore aux actrices pour cette prestation qui restera une excellente leçon pour toutes les sélections qui n’ont eu d’objectif que la gagne avant tout, plutôt que respecter l’essence même du football, sa raison d’être, le spectacle !

Le football offensif se marie si bien avec les qualités footballistiques des filles.

Hier, bien sûr, ce fut une excellente publicité pour promouvoir le foot féminin… Ok ! Mais, indubitablement, il faut reconnaître que ce n’était pas seulement une victoire pour le foot féminin hier à Twente, mais bien plus. C’est surtout celle du Football que l’on aime, avec tout ce que cela implique, tout simplement! Et, que le grand public puisse finalement admettre et reconnaître, que le Football, lorsqu’il est bien joué, respecté, élaboré, que ce soit par des hommes ou par des filles, reste l’un des plus beaux spectacles sportifs.

La Coupe du Monde en 2019

Comme tous supporter amoureux des bleus, je n’espérais avant ce tournoi qu’une issue favorable pour notre sélection. Grâce à un effectif armé comme jamais, une alchimie de joueuses cadres et de jeunes prodiges toutes très expérimentées, et suite à la démonstration de L’Equipe de France à la SheBelievesCup aux Etats-Unis face à nos hôtes et à celles des clubs français capables de se hisser au sommet en Ligue des champions, nous pouvions espérer, naturellement et légitimement, de survoler la compétition et devenir la meilleure équipe d’Europe, en toute humilité et modestie.

Malheureusement, ce fut, d’une part, une cruelle désillusion de voir les Bleues à la peine, douter, lutter et balbutier leur football pour se faire dramatiquement mais justement éliminer… Mais aussi, d’autre part, une réelle (malheureuse mais agréable) surprise de constater que les autres nations étaient définitivement prêtes à en découdre. Que les habituels cadors (Allemagne, Suède, Norvège, France, Espagne,…) n’étaient certainement pas préparées à autant d’adversité de la part des plus petites sélections.  Ainsi, nous avons pu assister cet été au bouleversement de l’ordre mondial (ou, du moins, européen)!!

Dès lors, l’issue de cet Euro constitue une véritable réussite et s’impose comme la plus belle des vitrines pour ce sport, et c’était bien là tout l’enjeu de cet événement.

Il faudra que notre sélection et ses dirigeants en tirent des conséquences, puissent en prendre totalement conscience, pour faire évoluer encore de trop nombreuses mentalités, tant en interne qu’en externe, et instituer définitivement le football des filles dans le paysage sportif commun, afin de préparer au mieux nos futures échéances et remporter la coupe du monde 2019, en France.

Pierre-Yves Bodineau.

  • Ex-coach PSG U19. Sept saisons au PSG comme coach des U19. Champion de France 2016 et 2017.