J’ai passé un super mois de Septembre. Septembre est essentiel pour les profs. C’est le mois de la gagne ou de l’enfer. Durée de la plongée : une année scolaire avec des matches face aux élèves trois à quatre fois par semaine, sans temps additionnel. Plaisirs des élèves : apprendre ou se taper un prof. Plaisir des profs : passionner les élèves.

Quand la porte est fermée, tout se joue. Un prof. En face, 35 lions et lionnes potentiels. Au milieu, une matière. Un chapitre. Une notion. une application. Le jeune à la maison et le jeune en classe : rien à voir. Chez vous : il obéit. Par intérêt, par goût, par respect, par tranquillité.

Chez nous, il expérimente. Il part avec l’idée de ne pas faire. De passer huit heures ainsi. Tranquillement. On doit lui donner l’envie de faire dans chaque matière. Souvent six dans la journée. Pas à un seul jeune, au maximum. Idéalement, à tous. Au même moment. Dans la même classe. Pour restituer, d’abord oralement. Puis, plus compliqué, par écrit. Ils n’aiment pas écrire. Ecrire est devenu pour certains un enfer. Un complexe. Le tout, en moins d’une heure.

Chaque prof le sait : on ne peut pas tous gagner. A chacun son challenge.

Je suis dans un lycée que j’ai appris à aimer. Une ville qui a fait l’actualité dans le passé. Un grand lycée où tous les jeunes se connaissent, vivent dans le même lieu, se côtoient par réseaux sociaux. Quand l’un fait, tout le monde sait. C’est la base à savoir. Dans ta classe, tu as potentiellement mille personnes en face de toi. Prends un facebook, un instagram. 100 amis x 35 élèves = 3500. Pas sur l’instant. Mais avant ou plus tard. Le jeune qui est là est la résultante de tout cela. Fois trente-cinq. Tu es bon, tout le monde le sait. Tu passes au travers, tout le monde le sait.

Il faut être toi et fort dans ce que tu es. C’est la règle. Pas de souci. Plus difficile pour certains qui démarrent.

Ils viennent respectueux de ce que tu es mais avec l’idée de se battre pour ne pas avancer. Il faut être « classé » parmi les bons pour qu’ils fournissent le travail que tu vas leur demander. Sinon, tu n’auras rien. Voire pire. Ils peuvent te mettre « la mort ». Pas une semaine où tu ne vois pas un collègue entrer dans la sacro-sainte « salle des profs » sans maudire l’heure qu’il vient de passer. La tempête a été pour lui. Bizarrement, le lendemain, ils peuvent être très calmes. Ou au contraire souffler plus fort encore. Il n’existe pas d’autres solutions que d’être plus fort qu’eux. C’est la règle. Soit toi, tout seul. Soit toi et l’administration.

La tempête c’est quoi ? C’est de plus exister individuellement. Pas une mémoire d’élève qui n’a pas enregistré, dans ses souvenirs, sa classe en train de « dégommer » un prof. Pour certains, la colère. Pour d’autres les larmes. Le plaisir des élèves est aussi là. Le risque des profs. A éliminer. Mitraillette en position ou tir de sniper. Au choix.

Septembre est un mois crucial. Chacun prend ses marques. A avoir pratiqué tous les niveaux, les choses sont les mêmes. Seuls les mots sont différents. En BTS, on les découvre. Si vous me lisez en ayant la quarantaine, vous les voyez comme des adultes. Si vous me lisez en ayant le même âge, vous savez à quel point c’est difficile d’être ce que le physique demande à ce que vous soyez, mais ce que vous n’avez pas du tout envie d’être : des adultes. Encore au coeur de l’enfance. Si on ne vous cadre pas, vous faîtes n’importe quoi. Pas de problème, vous adorez. Surtout s’il ne vous arrive rien. Autrement, c’est différent.

Notre rôle, On va les transformer du statut de l’élève pour les mettre très rapidement dans un semblant d’habit de professionnel, bien trop grand et trop large pour eux, face à une génération qui ne se prendra en mains que vers vingt cinq ans. Comme moyens, on a que les mots. Et ce que l’on est. On le sait, dès qu’ils sont payés. ils sont sages comme des images. A l’école, on ne les paye pas.

Dans cette classe, on devrait être vingt quatre. On est trente cinq. Il y a moins de places pour respirer. Le moindre bruit devient impossible à accepter. Il faut monter dans la pédagogie pour obtenir le silence pendant 50 mns. Le silence, c’est à dire ne parler que du cours. Trouver le lien qui exclura d’autres conversations. Si deux parlent, c’est cinq, puis dix. C’est fini. Ils ne reviendront pas facilement. Le cours s’envole. Si c’est trop répétitif, les dates s’entrechoquent. Le contenu n’y est pas.

Il faut aussi monter dans la pédagogie pour que la notion soit entendue, comprise, et qu’elle puisse être restituée. Le tout en une heure. Pour trente cinq personnes. Qui voient passer un train. Qu’ils ne reprendront pas. En France, on le sait, un jour correspond à une notion. Ensuite à une autre. Ensuite à une autre.  Et on sait aussi que l’examen se rate à des riens pour les moyens qui sont bien plus nombreux que les bons. Souvent, ceux qui partent en dérive. Ils savent qu’ils ont de la marge. Intéresser les bons, maintenir les moyens, regarder les raisons du des-intérêts des faibles. Chercher non pas une solution, mais leur solution.

Il faut de la voix.

Une fois j’étais à Carrefour. Un couple jeune part en laissant son portefeuille. La caissière appelle. Le client suivant aussi. Pas de réactions. J’attends dans la file. Pas possible de passer. J’évalue la distance. Le son. Et j’envoie. Plus personne ne bouge. Le couple a entendu. J’ai juste dit à la caissière : « je suis prof ». Elle a sifflé. Elle avait juste oublié.

Dans cette classe, il n’y a pas un prénom classique. On a toute les origines du Monde. Juste un qui s’appelle « Jules-Henri ». Il est malien. Ses parents ont craqué. On en rigole de temps en temps ensemble. Vingt cinq « bac pro » sur trente cinq. Ca parlera un peu aux professionnels. Pour de la comptabilité, quand en bac pro, ils n’en font plus.

Dans nos filières nos compétences sont variées. Economie, droit, management, ressources humaines, communication. Moi, j’ai rajouté fiscalité, analyse de gestion, relations sociales, réseaux et systèmes informatiques et applications professionnelles. Je voulais me tester sur autre chose. On doit pouvoir adapter nos connaissances sur six niveaux : 1ère, terminale, 1ère post-bac, 2ème, prépa et licence prof.

L’année dernière a été une année difficile. Le lycée a fait 38% de réussite au bac professionnel. Ceux qui l’ont eu sont montés en BTS. Pourtant on a eu 1000 heures d’absence. Ils avaient pris des habitudes. On a dégoupillé. Contenu et pédagogie plus les blocus de la loi El Khomri. Il a fallu assurer. Cette année, c’est OK. On a passé l’année à faire des dossiers de motivations et de sélections. Des tests que nous avons crée avec un collègue. Des entretiens individuels. On est avec une poudrière. On a fait en sorte de la maîtriser.

Un prof fait 600 heures de cours dans une année qu’il prépare. Cela donne 600 matches. Il corrige 1.200 copies. J’en suis à la 80è heure de cours. Impeccable. Le tempo est lancé. Les jeunes adhérent. On se comprend. On connait les règles. On les respectent. On a précisé nos valeurs. Ils les connaissent. On a précisé que les valeurs, c’était notre seule richesse quand on a rien matériellement. Alors, elles sont impératives. Personne ne doit nous les voler ou les mettre à mal. Avec cela, on deviendra plus riche si on n’oublie pas l’ambition. Dans ces valeurs il y a le mot « travail » qui n’est pas une contrainte mais leur liberté pour Demain et il y a le mot « rires » qui est une nécessité. Et surtout, un socle : le mot « respect ». Le respect qu’ils nous doivent. Le respect que je leur dois.

Un mot enfin à bannir : « l’argent ». Pas de différences entre eux. Il y en a un qui ne peut pas acheter les livres et les payer en plusieurs fois. 130 €. C’est lui qui les paye. Il ne peut que 60 € en deux fois pour l’instant. Pas très loin, une jeune fille. Son papa est entrepreneur. Elle a pris les livres le lendemain. Elle est d’accord de venir en « journée professionnelle » (costume). Lui ne peut pas. Il a toujours le même survêtement. On le sait. On connait. On pratique. Pas de différence. On trouvera une solution qui leur laisse leur différence sans qu’elle soit, ni pour l’un comme pour l’autre, une agression.

On ne parle pas de religion ni de laïcité. Chacun se protège avec ses convictions ; la laïcité s’impose sans question. Ce qui s’est passé a marqué tout le monde. Le jour des attentats de Charlie, j’étais le soir à Bondoufle pour un match de Championnat ou de coupe. Elles ont pris une tôle face au PSG. A un moment, je me suis accroupi sans raison dans la zone mixte. La fatigue est venue. Cela ne m’était jamais arrivé. J’ai compris qu’on avait tous vécu l’enfer en classe. Entendu le pire du pire. Vu le feu des mots. Plus personne ne veut revivre cela. Ni les jeunes, ni nous. Je suis convaincu que nous nous sommes protégés pour le futur. On le sait, l’école est une cible. On le sait. On verra.

J’aime cette classe. Ils ont envie de bosser. Jeudi, j’ai fait un cours que l’on fait normalement en fin de programme. Cela prenait. Le lendemain, je leur fait un contrôle surprise (évaluation formative) par groupe de deux. Pour voir leur qualité de mémorisation, d’interprétation et d’envie de passer l’obstacle. Qu’ils l’identifient et qu’ils prennent confiance en eux. Il faut se souvenir. Ils échangent. Se mettent en concurrence. S’aident. Au final, on y arrive sur une heure. Chacun a la copie des autres. Ils se rendent compte des différences. Aucune n’est parfaite. Avec leurs copies, ils se dévoilent aux autres -ce qu’ils détestent- mais se corrigent. Ils adhérent. La notion est acquise à 80%. Manque le détail. Tous ont compris. 80% arrivent à restituer. Il faudra se souvenir des 20% manquants.

Ah oui, pardon. L’enjeu ce n’est pas d’entendre, de comprendre, mais c’est de restituer.

C’est ce que je dis au micro-lycée.

Ca, c’est autre chose. Ce sont des jeunes qui ont arrêté les études et qui reviennent après un parcours personnel pour avoir le bac. STMG, option mercatique. Quelques fois ils ont été malades. D’autres fois, ailleurs .. Ils sont sélectionnés par une équipe. Encadrés. Ils doivent être treize cette année.

A 9h00, j’en ai six. On finira les trois heures à onze. Il en manque deux. Là, on est dans une autre difficulté. Ils ont arrêté d’écrire. Le bac est une épreuve écrite. Ils ont arrêté de réfléchir en une heure. Quand on est dehors, on réfléchit sur une journée, voire plus. Ils ont arrêté d’être sur une chaise. En classe, on est sur une chaise. Enfin, ils ne savent plus ce qu’est un livre. Ils se font une opinion avec les autres (amis et internet). Par contre, ils ont envie.

Mon rôle, c’est de les ramener dans le cadre du bac. Dans les attendus. Ca c’est simple. Le compliqué, c’est qu’ils puissent être pris pour un BTS. Ca, c’est compliqué en une année. Et pourtant, il ne peut pas y avoir un autre objectif. Sinon, à quoi cela sert-il ? Je ne suis pas là, pour leur donner un petit sourire, le jour des repas de famille, et dire : »j’ai le bac ». Comme les autres, les cousins. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant. je suis là, pour qu’en Septembre 2017, ils puissent dire à leurs parents : « j’ai un BTS ».

Dans la ville, cela veut dire : « Je suis grand ». « Je suis autonome ». « J’ai un projet ». Personne ne me l’a payé. Juste moi. Et mon travail. Et pour certains, « oublie mon passé ». « J’ai un futur ». On le sait, il faudrait rajouter « peut-être ». Mais, pourquoi penser à ce peut-être quand il peut très bien ne pas exister. On verra plus tard. Je dois avoir du 18 ans jusqu’à 22-23 ans.

Trois heures d’économie. On a joué au « chat et à la souris ». J’ai varié les exercices. D’abord, restituer ce qu’ils savent, le valoriser car je sais que les jeunes s’informent beaucoup sur le net. Puis le traduire, le retraduire dans les mots attendus du programme. Après, voir les faits : « le chômage ». Discuter, échanger sur le graphique. Expliquer que les faits, c’est une réalité qui s’impose à tous. Donc une vérité. Une vérité bien restituée, c’est la moitié des points à l’examen. Que notre rôle n’est pas d’avoir 20, mais de chercher à avoir 12 sur 20. En grande forme, on transforme le 12 en 14 ou 15. En mauvaise forme, il donnera un 10. Cela fait 10 points d’erreurs. Il faut décomplexer les erreurs. Le 20 est rare. Il n’est pas une finalité. J’ai toutes les origines. Turque, israël, Congo, Haitï, Ukraine.

Ils font des efforts en français. Pas de souci, en France, les diplômes sont possibles à obtenir. Ils adhérent. On a passé trois heures extraordinaires.

Je suis sorti, j’étais content. Ils sont allés dans la salle commune. Avec le micro-lycée, on partage les repas avec les élèves. Ils étaient contents. Deux profs sont venus me voir pour me dire qu’ils avaient adoré. J’ai juste répondu : « c’est le premier cours ». On le sait, cela fluctue. Un jour ils seront moins bien. Un autre ce sera moi. Mais la trace est belle.

Valeurs : travail, rires, respect. Pas de différences entre eux. On ne parle pas argent. Avec cela, on va mettre le contenu : de l’économie et du droit. Pour réussir le bac et surtout une inscription en BTS. Notre objectif commun.

J’adore ce métier. Ils vont me bousculer, je les bousculerais. Quand on se croisera des années plus tard, on se saluera. C’est une bonne année. Sans tricher. Il y a des jeunes très bien, bien qu’ils n’aient rien.

William Commegrain lesfeminines.fr