Après la fronde des brésiliennes Cristiane, Rosane et Fran contestant le licenciement sec de la sélectionneuse Emy Lima après seulement 10 mois d’exercice pour remettre l’ancien sélectionneur qui l’avait précédé et tout autant démis de ses fonctions, (voir l’article précédent), il était intéressant de publier l’analyse et la synthèse de Charlotte Vincelot, déjà auteure d’un précédent article bien argumenté sur l’Australie.

L’Amérique du Sud entre développement et incertitude

Terre de football masculin, l’Amérique du Sud n’a pas la même présence dans le monde dans sa version féminine, derrière la vitrine qu’est le Brésil. Alors que cette vitrine (fragile) vient de connaître une fissure avec le renvoi de sa sélectionneuse nationale suivi de plusieurs retraites annoncées, et que la sélection argentine est en grève, le football féminin semble pourtant gagner du terrain sur le continent, en ce qui concerne les compétitions de clubs en tout cas.

Le Brésil, ce géant aux pieds d’argile

Nommée sélectionneuse du Brésil tout-puissant à l’échelle continentale à 36 ans, devenant la première femme à occuper ce poste, Emily Lima a été démise de ses fonctions avant même ses 37 ans. La technicienne, qui avait débuté son aventure à la tête de la sélection par sept victoires en sept matchs, a rapidement payé les mauvais résultats estivaux de l’équipe, défaite par l’Allemagne, les États-Unis (lors d’un match une nouvelle fois palpitant), et l’Australie trois fois consécutivement. Attachée à faire de la Seleção un prétendant au titre mondial en 2019 mais également à participer à un développement organisé de la discipline au pays, elle n’aura donc pas eu à temps de travailler sur le long terme.

Son remplacement par Vadão, qui l’avait précédée à la tête de la sélection (2014-2016) a été suivi par plusieurs retraites internationales de joueuses, parmi lesquelles Cristiane, lassées par la répétition des batailles fournies pour exister et développer le football féminin au pays. La star de la sélection Marta, toujours en pôle position pour mener le combat, n’a elle, pas baissé les bras comme elle l’a annoncé par l’intermédiaire d’une vidéo sur les réseaux sociaux (instagram). Aujourd’hui, l’incertitude plane autour de la sélection et de la discipline au pays, et il va falloir une grande solidarité de la part des joueuses, comme demandée par Marta, pour continuer à mener le combat, et remporter une septième édition (sur huit) de la Copa America l’année prochaine et prendre part à la Coupe du monde 2019 comme aux Jeux Olympiques de Tokyo en 2020.

Au niveau des autres sélections, un continent “fantôme”

Le dernier classement FIFA est très révélateur : seules six nations sud-américaines y figurent (le CONMEBOL ne compte cependant que 10 membres). Pire, en Mars, elle n’étaient que trois. C’est le double du nombre de sélections classées début mars, avant que le Chili, le Pérou et la Bolivie ne reprennent le chemin des terrains (l’Uruguay et l’Argentine se sont également affrontés le 30 août).

Pour le Pérou, largement défait par le Chili en mai (0-12), il s’agissait même de son premier match amical depuis 2009.

Les sélections ne jouent pas, ou très rarement -à l’exception du Brésil naturellement-, en dehors de la Copa America qualificative pour la Coupe du monde. Alors que la prochaine édition se tiendra au Chili en avril 2018 prochain, les sélections devraient reprendre le chemin des terrains en préparation de ce tournoi important de façon plus soutenue, à condition que les joueuses ne soient pas en grève comme c’est le cas en ce moment en Argentine, la seule équipe autre que le Brésil à avoir remporté la Copa America, en 2006, et qui est dans une impasse actuellement.

Parmi les sélections de jeunes, le Brésil, représentant chevronné en A, ne fait pas partie du gratin mondial.

Il faut plutôt regarder du côté du Venezuela chez les jeunes actuellement, dont l’équipe des moins de 17 ans a terminé au pied du podium lors des deux dernières éditions de la Coupe du monde de cette catégorie d’âge (U17) dans le sillage de la star mondiale annoncée Deyna Castellanos, qui se trouve dans le trio des trois meilleures joueuses FIFA 2017 « The Best ». Une dynamique que la fédération veut transmettre à la sélection senior, où une majorité de joueuses a fait partie de ces deux sélections U17. L’organisation de la prochaine Coupe du monde des moins de 17 ans en Uruguay pourrait également redonner un nouveau souffle à la discipline dans le pays, qui avait terminé 3e de la Copa America en 2006.

En attendant la potentielle éclosion de la sélection vénézuélienne, il faut plutôt se pencher du côté de la Colombie pour les A pour trouver une sélection sur une dynamique positive. Deuxième représentante du continent aux côtés du Brésil lors de la dernière Coupe du monde et des Jeux de Rio, elle s’est imposée comme la deuxième force continentale que ce soit dans la zone ou dans le monde.

Avec l’organisation de la prochaine Copa America et le leadership de sa capitaine Christiane Endler, le Chili veut également frapper fort et s’imposer parmi les équipes avec lesquelles il faut compter sur le continent.

En attendant un vrai projet de développement des sélections féminines, qui pourrait pourquoi pas se faire à l’échelle du continent, c’est du côté des championnats, des clubs et des compétitions continentales qu’il faut trouver de réelles avancées du football féminin.

Au niveau des clubs, un vrai progrès

S’il reste encore beaucoup de travail à effectuer du côté des sélections, cela pourrait évoluer assez rapidement du fait des mesures prises à l’échelle inférieure.

En effet, l’obligation à partir de 2019 de posséder une équipe féminine pour pouvoir participer à la Copa Libertadores, compétition continentale phare du football masculin, a poussé beaucoup de clubs professionnels à créer ou développer leur section féminine, ce qui devrait rapidement porter ses fruits tant le continent part de loin.

Mais surtout, deux championnats ont été créés en 2017, au Venezuela et en Colombie, deux pays tournés vers le développement de la discipline. Ces deux championnats sont appelés à grandir et vont peut-être appeler la création d’autres ligues professionnelles sur le continent. Pour ces deux pays, il s’agit d’un grand pas en avant pour le développement du football féminin. Si le championnat vénézuélien (divisé en deux parties) n’est pas terminé, la Liga Feminina Aguila colombienne a terminé de la meilleure des façons, avec plus de 33 000 spectateurs présents au stade, et une audience télévisuelle supérieure à sept points. Pendant ce temps, au Brésil, Santos est allé chercher sa qualification pour la finale du championnat devant plus de 25 000 spectateurs, soit plus que pour 86% des rencontres du championnat masculin.

La création de sections féminines et de nouveaux championnats qui vont travailler à leur pérennité, et le succès populaire de ceux-ci est un grand pas dans la bonne direction pour l’Amérique du Sud. Le chemin est encore long avant d’être une force reconnue sur l’échiquier mondial, surtout avec l’inactivité des sélections nationales. Derrière le Brésil -malgré les remous internes- et la Colombie plus récemment, le continent semble avoir décidé de se mettre en marche, même si cela peut sembler assez timide pour le moment.

Mais les déboires actuels  des joueuses de la sélection argentine notamment montrent bien que le chemin est encore long, et que les nations de la zone ne semblent pas avoir toutes envie de prendre le train en marche…

Charlotte Vincelot pour les feminines.fr

Pourtant le Brésil a été deux fois finalistes des jeux olympiques (2004 et 2008) et finaliste de la Coupe du Monde (2007). Pour autant, les sélections nationales bricolent avec leur équipe féminine.