Potsdam. ITW de Gerd Weidemann. Bernd Schröder, c’est un livre d’expérience que vous avez en face de vous. Il connait le football féminin sur le bout des ongles et a eu le temps, avec le temps, d’accepter ses erreurs pour en tirer bénéfice et avantage quand le moment s’est présenté. Je crois qu’il doit connaitre toutes les joueuses européennes de 20 ans à 35 ans.

Comme tous, il a été surpris des performances des favoris (France, Allemagne, Angleterre) et constate que les Pays du Nord de l’Europe marque le pas. Ces pays vont devoir se remettre en question totalement en vue du Mondial 2019 et si pour autant, il considère que la performances des Pays-Bas, surprenante, est totalement méritée ; pour lui, les néerlandaises ne pourront pas reproduire avec certitude un tel niveau de match lors de la prochaine compétition. Elles ont connu l’idéal. La surprise qu’il attendait : la Suisse.

Lesfeminines.fr. Quel est votre bilan général de l‘Euro?

Bernd Schröder. Dans l’ensemble l’ambiance de la part des spectateurs et spectatrices était bonne. C’est aussi dû au fait que l’équipe du pays hôte était dans la compétition jusqu’à la fin et qu‘elles sont devenues championnes d’Europe. Dès le début j’ai dit qu’il ne faut pas trop attendre de ce tournoi, puisque nous avions un plus grand nombre d’équipes qu‘avant (16 au lieu de 12). On a vu donc des équipes qui n’avaient pas le niveau attendu. Par exemple, l’Ecosse qui a échoué. Je pense à la Suisse dont on attendait plus. La Norvège a complètement déçu comme la Suède aussi. Tous les deux pays ont marqué le foot féminin en Europe pendant longtemps. Et en plus les pays à ne pas oublier: la France et l’Allemagne. En conséquence c’est une situation qu’on n’attendait pas mais qui, si on regarde bien, est un résultat qu’on aurait pu prévoir depuis quelques années déjà.

Lesfeminines.fr La Norvège était vice-champion il y a quatre ans lors de l’Euro en Suède. Comment est-il possible que cette équipe puisse perdre tous ses matches de poule?

Bernd Schröder. On peut perdre des matches, mais ce qui est important c’est comment la Norvège les a perdu. Ce n’est pas le football norvégien comme on le connaît. Mes anciennes joueuses, Hegerberg et Mjelde ont joué dans cette équipe. Des joueuses qui pour moi comptent toujours parmi les meilleures en Europe mais toute l’organisation du jeu n’a pas fonctionné. Autrefois il y avait encore quelques autres bonnes joueuses. L’équipe jouait avec puissance, pratiquait un jeu offensif avec un bon travail de la défense. Ce que la Norvège a joué ce n’était « ni à boire, ni à manger ». Elle avait oublié ses vertus. On a joué selon la devise: « Si on gagne le match, c’est OK, si on le perd, ce n’est pas vraiment grave non plus ». Cette passion qu’autrefois on attendait des pays scandinaves, là manquait.

Lesfeminines.fr. La France était venu à l’Euro aves de très grands espoirs de pouvoir enfin gagner un titre. Sortie dans les quarts de finale. Quel est votre avis?

Bernd Schröder. Il y a peu de joueuses françaises contre qui, dans ces dernières années, Turbine Potsdam n’a pas joué. Dans la Ligue des Champions ou à l’occasion de matchs amicaux. Je connais très bien les joueuses françaises. Je crois qu’il y a le danger de surestimer le football français et cela commence au moment où il y a deux clubs du championnat français dans la finale de la Ligue des Champions. On était trop sûr de gagner, on s’est dit nous sommes les meilleures en Europe, alors cela va fonctionner. Je crois que le football français, depuis des années, a essayé de trouver son propre style de jeu. Avec beaucoup de possession du ballon, tenir le ballon au milieu de terrain, des situations de balles arrêtées, puis avoir du succès avec des corners, cela on le sait.

Je trouve que le football français comme il a été joué cette année n’était pas assez contraignant. On pouvait le prévoir. Quand cela n’allait plus, on a essayé de venir par les ailes, on a essayé des actions individuelles. LeSommer l’a essayé, mais cette équipe à qui on avait donné des lauriers prématurés, n’a pas réussi à le réaliser. C’était de nouveau une équipe où on avait l’impression que si leur jeu fonctionne, elle marque des buts, mais si le jeu ne fonctionne pas, alors …. Et elles ont eu de la chance de sortir des poules.

La Suisse aurait pu gagner ce match contre la France. Le jeu que les françaises ont joué n’est pas le jeu qu’elles devraient être capable de jouer, parce qu’elles ont d’excellentes joueuses individuelles. Mais il y a parmi elles aussi des joueuses qui sont arrivées au zénith de leurs capacités et parfois ne peuvent plus mettre en pratique ce que peut-être l’entraîneur et la nation attendent. En 2019 déjà il y aura la Coupe du Monde en France. Avec l’équipe actuelle du pays hôte je serais très pessimiste.

Lesfeminines.fr L’Allemagne, autre grand favori, qui semblait être abonné à la victoire dans les Euros, est venu avec une grande confiance en soi-même et s’est retrouvée sortie du tournoi après les quarts de finale.

Bernd Schröder. Je m’en méfiais avant. J’avais dit qu’on ne peut pas déclarer la victoire avant même d’avoir joué l’Euro. J’ai dit dans une interview que c’est bien d’avoir de la confiance en soi-même, mais pas une confiance artificielle. J’avais l’impression qu’on disait: «Oui, nous sommes bien, les autres sont moins bien, alors, on va gagner le truc». La confiance en soi qu’on a essayé d’afficher n’était pas réelle. Quand j’ai de la confiance en moi, cela doit aussi être là quand il y a des actions qui ne fonctionnent pas.

Mais quand il y avait quelque chose qui n’allait pas, nos joueuses se sont retirées du milieu du terrain. On n’avait pas l‘idée de faire quelque chose de différent, comme par exemple essayer de forcer l’adversaire à faire une erreur. On était trop sage.

J’avais dit que nous avons deux problèmes dans l’équipe allemande : la défense, avec des problèmes quand les adversaires mettent de la pression. Le deuxième problème : l’attaque. Comment marquer des buts quand il n’y a pas d‘attaquante qui, quand cela ne marche pas, prend l’initiative et s’impose avec force devant le but ? L’absence d’Alex Popp [forfait] n’a pas pu être compensée. On aurait encore pu jouer cent ans. Nous n’avons marqué qu‘un (un demi) but dans le jeu. Le reste: situation de balle arrêtée, penalty, et pareil. Cela montre que dans l’attaque on n’avait aucune joueuse qui aurait pu marquer un but.

Dans le milieu de terrain nous avions nos meilleures joueuses, avec Magull, Maroszán, etc, une pléthore même. Mais à quoi est-ce que cela sert s’il n’y a pas de joueuse qui devienne dangereux devant le but ? Anja Mittag n’était pas cette joueuse et d’autres joueuses qu’on a essayé de mettre dans l’attaque, non plus.

Dès le début on avait programmé un certain système de jeu et on n’était simplement pas capable de changer ce système de jeu quand cela devenait dur. Dans l’équipe on n’a pas essayé de changer quelque chose. Pour nos adversaires il était facile de voir comment nous allions jouer et nous avons joué comment c’était prévisible.

Lesfeminines.fr Est-ce que l’Allemagne aurait pu gagner le quart de finale contre le Danemark?

Bernd Schröder. À 100 % on aurait pu gagner. Je connais bien ces joueuses danoises. Chaque année Turbine Potsdam organise un grand tournoi en salle et par exemple Bröndby a beaucoup d‘internationales qui y ont participé. Ce sont des joueuses qui – normalement cela n’existe pas – ont un degré d‘efficacité de 100 %. Quand on les laisse jouer, elles s‘acharnent, elles essayent tout. C’est la joueuse la plus petite qui a marqué un but contre nous, cela montre qu’il y a quelque chose dans toute notre attitude envers notre adversaire qui ne va pas.

Nous avions peut-être cru que les danoises étaient moins fortes, tout simplement parce que on croyait que c’était mieux de jouer contre le Danemark au lieu de la France ou l‘Angleterre. C’était une erreur de les sous-estimer. On ne devrait pas les sous-estimer. Elles ont deux, trois joueuses qui donnent tout, qui s’acharnent. On n’était pas du tout préparé à ces choses tactiques

Lesfeminines.fr. Pensez-vous que la victoire des Néerlandaises est méritée?

Bernd Schröder. Oui, je pense que oui. C’est avec un très grand respect que j’ai vu Jackie Groenen agir – j’observe le développement de cette joueuse depuis quelques années déjà – Jackie Groenen – elle a été pour moi une des meilleures joueuses dans l’équipe des Pays-Bas. La composition et la structure de l’équipe était formidable. Je crois qu’elles étaient portées par une vague d’enthousiasme des spectateurs et naturellement elles avaient aussi de très bonnes joueuses individuelles.

L’équipe savait dès le début qu’il y avait beaucoup de pression. Elle jouait chez elles. Le foot masculin des Pays-Bas n’est pas dans une très bonne situation et elles, elles voulaient bien représenter leur pays. Elles ont montré un mélange merveilleux de possibilités footballistiques, combat et engagement et une volonté comme aucune autre équipe du tournoi.

Dans ce tournoi elles ont joué au-dessus de leurs moyens. Je ne crois pas que jamais le foot néerlandais se retrouvera encore une fois dans une telle situation. Avant le tournoi je n’ai jamais pensé que les Pays-Bas pourraient jouer un rôle. Pour moi les favoris étaient l’Allemagne, la France et l’Angleterre, j’avais cru qu’éventuellement, la Suisse aurait pu faire pencher la balance.

Mais ces filles étaient en pleine forme au juste moment et elles ont fonctionné comme une équipe, compris l’entraîneure, le staff, etc.

Gerd Weidemann pour lesfeminines.fr.