Juste avant le quart de finale de ce week-end entre Montpellier (3è) et l’ASSE (8è) moins bien classé mais au parcours réussi en Coupe de France avec un titre 2011 et une finale 2013 ; il est intéressant de voir le parcours d’Aude Moreau (26 ans) pour comprendre ce qu’est une joueuse de football de la D1 Féminine.

« Papa, je veux jouer au football. Papa, je veux être ingénieur ». Ces deux phrases que je viens d’imaginer auraient pu résonner dans l’esprit du père d’Aude Moreau qui a dû se poser pas mal de questions quand sa fille a exprimé des qualités dans les deux domaines. Sportive de haut niveau et scolaire de haut niveau.

Le football féminin permet encore cette double approche. Celle du plaisir à jouer et exprimer ses qualités avec des objectifs sportifs et se retrouver, ailleurs, autrement, quelqu’un d’autre pour, dans un autre domaine où les deux mondes s’ignorent souvent, se retrouver en compétition pour un niveau, une note, un examen voire un concours et une réussite.

Dans le monde qui se crée où les jeunes achètent souvent des diplômes auprès de formations qui n’ont d’autres vocations qu’à donner une ligne sur une carte de visite sans garantie de rémunération à hauteur des investissements réalisés, Aude Moreau s’est inscrite dans un parcours très sélectif sur le plan scolaire auprès d’une école de renommée internationale.

A côté, elle a joué au football avec passion. Jamais loin du ballon mais sans oublier d’agir avec raison et réflexion. D’ailleurs, il est intéressant de voir qu’elle s’est exprimée sur le plan sportif et physique dans un poste où on donne tout aux autres pour que sur le plan scolaire, elle soit allée comme une attaquante, vers un objectif personnel bien fixé.

Aude Moreau : une tête bien carrée qui s’éclate avec un ballon rond. Je crois que le titre lui correspond bien.

Aude Moreau joue face aux meilleures. Crédit. William Commegrain lesfeminines.fr

Aude Moreau joue face aux meilleures (Amandine Henry). Crédit. William Commegrain lesfeminines.fr

Des choix professionnels qui justifient le choix des clubs.

Lesfeminines.fr Vous êtes passé par de nombreux clubs avec la VGA Saint Maur, Clairefontaine, Paris Saint Germain, Montigny le Bretonneux, Saint-Etienne, FcF Juvisy-Essonne, Val d’Orge et maintenant Saint-Etienne.

Aude Moreau. La réponse fuse, après réflexion. Mes études et mon travail. Avec Clairefontaine, j’ai dû changer car ils ont réduit l’âge des pensionnaires et le groupe s’est rajeuni. Du coup, on a dû toutes trouver un club et je suis allée au Paris Saint Germain. J’ai fait un an au PSG avec le lycée et je suis entrée en classe prépa informatique à Versailles et c’est pourquoi je suis allée jouer à Montigny qui était par ailleurs en D2, ce qui me permettait d’avoir plus de temps pour travailler. Sauf qu’on est monté  en D1 (sourire). 

Ensuite je suis allée à Saint-Etienne car j’avais mon école d’ingénieur à Lyon et l’ASSE me permettait de faire mon double projet tout en me donnant la possibilité d’avoir du temps de jeu et j’ai rejoint l’ASSE car ils avaient un projet intéressant et je pouvais garder l’aspect scolaire à côté.

Juvisy, en fait j’ai trouvé du boulot dans la région parisienne dans le cadre de la société qui m’avait pris en stage pour ma dernière année et j’avais aussi envie de tenter ma chance. C’est quand même un club qui faisait partie des quatre gros du championnat comme on dit. Donc j’ai tenté ma chance à Juvisy et comme mon travail était assez prenant en travaillant à la Défense avec pratiquement trois heures de transport aller-retour par jour .. avec le rythme de Juvisy, cela ne collait pas vraiment.

Comme ce n’était pas simple pour moi de réduire mon temps de travail avec un poste à mi-temps car on ne trouve pas un poste à mi-temps en tant qu’ingénieur comme cela ; j’ai intégré le Val d’Orge qui était en Division 2 et cela me permettait de faire mon travail et l’entraînement le soir à 20 heures. J’avais ce souhait de retourner en D1, l’expérience avec Saint-Etienne s’étant bien passée pendant ses quatre ans et  je connaissais le staff, le club et les joueuses puis je souhaitais revenir dans la région, sachant que sur le plan personnel, mon compagnon est originaire de la Drôme, on se rapprochait de sa famille.

Enfin, tant pour des raisons personnelles que professionnelles, tout cela a donné tous ces mouvements.

Lesfeminines.fr C’est ce que j’avais bien compris. Par rapport aux filles qui peuvent se décider en fonction du football ; vous vous êtes décidé par rapport à votre projet professionnel. 

Aude Moreau. Cela dépend des filles. Il y en a qui choisissent le côté scolaire ou le côté professionnel mais c’est exact qu’avec le développement du football féminin, beaucoup de filles choisissent les clubs où elles peuvent avoir des contrats. Je dirais que la tendance est en train de changer. A l’époque, quand j’étais plus jeune, on disait que les études étaient plus importantes et je me suis basée là-dessus mais je pense qu’aujourd’hui, c’est un petit peu en train de changer. Les filles cherchent plus le club pour ensuite trouver une situation professionnelle ou scolaire autour.

Un métier, une carrière dans l’univers professionnel.

Lesfeminines.fr. Il faut aussi relativiser. Votre profil scolaire est particulier. Parlons de votre activité professionnelle : que faîtes-vous en tant qu’ingénieur ? 

Aude Moreau. Qu’est-ce que je fais ? (sourire). Mon poste, c’est ingénieur commercial. Il y a des compétences qui se rajoutent. J’ai d’abord une compétence technique en énergie et environnement et je travaille dans une entreprise qui vend des services énergétiques – leadeur au niveau de l’efficacité énergétique et environnementale – ; et mon métier, avec ma casquette de commerciale est de vendre des services énergétiques aux collectivités. Mes clients peuvent être des hôpitaux, du tertiaire et surtout du logement collectif.

Lesfeminines.fr Et cela chiffre à combien ? Un dossier.

Aude Moreau. C’est délicat. J’ai des dossiers à 2.000 euros et j’ai des dossiers à plus de 100.000 euros.

Lesfeminines.fr J’imagine qu’en tant que commercial, vous avez une partie de variable.

Il y a une partie variable mais dans ma société la partie fixe est plus importante mais effectivement la partie variable et un petit peu plus élevée que sur mon poste précédent.

Lesfeminines.fr Il y a certainement de la participation et de l’intéressement si les résultats sont corrects.

Petit silence. Aussi. Je vous pose ces questions précises pour que les filles sachent qu’en dehors du sport, il y a aussi tout un environnement de rémunération organisée et structurée comme d’avoir la possibilité d’évoluer sur le plan professionnel. C’est pour cela que sans donner de chiffres, j’ai voulu vous faire dessiner l’environnement de votre rémunération.  

Le ballon, une passion et des qualités.

lesfeminines.fr Au niveau ballon, vous avez réussi à taper aux portes de l’équipe de France, sans vraiment y rentrer. Qu’est-ce que vous a amené cette capacité sportive en parallèle de vos études, car c’est beaucoup d’efforts quand même !

Aude Moreau. Oui, c’est beaucoup d’efforts mais c’est aussi beaucoup de plaisirs. J’ai particulièrement apprécié d’avoir pu faire pratiquement toutes les sélections de jeunes ; l’équipe de France B et effectivement, j’ai eu la chance de pouvoir faire un stage de préparation à l’Euro 2013 et c’est vrai que je n’ai pas pu entrer dans le groupe alors que c’était mon objectif mais il est exact qu’en entrant dans la vie professionnelle, cela devient trop compliqué.

Aujourd’hui pour intégrer le groupe de l’équipe de France, il faut faire le choix d’être professionnelle ou vivre du football.

Je pense que mes choix ont un peu freiné ma progression ..

Lesfeminines.fr Est-ce que c’est un regret ? A vous écouter, on le ressent.

Aude Moreau. Oui et non. Oui, car c’est vrai que lorsque j’étais plus jeune, c’était vraiment un regret de ne pas pouvoir intégrer ce groupe de l’Equipe de France. Après, on ne savait pas à quelle vitesse allait se professionnaliser le football féminin mais je ne regrette pas car mon avenir professionnel est assuré et pour les quarante années à venir, c’est mon travail qui me permettra de vivre et le football, peut-être que dans quatre à cinq ans, c’est fini.

Si on regarde le long terme, je pense que j’ai fait le bon choix de garder ce côté professionnel, d’avoir de l’expérience et de ne pas m’être dit qu’après mes études, j’arrête et dans cinq ans je me remets sur le marché du travail. C’est compliqué.

Lesfeminines.fr Vous avez un raisonnement cartésien des centraliens. On voit bien le raisonnement des ingénieurs. C’est juste et en même temps, à vous entendre, on sent une passion pour le football et cela – à la limite – aurait pu « valoir le coup de tenter le coup ? »

Aude Moreau. Après, il y avait aussi la question financière. J’ai fait de longues études et comme je dis toujours, je n’ai pas fait les études que j’ai fait pour toucher un smic. Dans le football féminin, vu les salaires que l’on peut obtenir à part Lyon et le PSG, le fait d’avoir la double casquette me permet d’avoir une rémunération plus élevée que si je n’avais fait que du football.

Après, si je n’avais pas fait les études que j’ai fait ; si je m’étais plus concentrée sur le foot et si j’avais été à l’OL ou au PSG j’aurais peut être eu aussi la même rémunération mais ce sont des choses que l’on ne peut pas savoir ; alors que je préfère la sécurité et le fait d’avoir la double casquette me permet d’avoir une rémunération plus conséquente et d’avoir pu acheter ma maison sur Saint-Etienne.

Un mariage à l’international ?

Lesfeminines.fr Justement par rapport à votre métier, vous êtes dans des strates de profession qui vont vous amener à la mobilité internationale. J’ai une chose qui m’a toujours surpris par rapport aux filles, elles restent souvent au même endroit. Vous avez un profil qui serait ouvert à la mobilité tout en mariant le football de haut niveau ? Est-ce qu’il y aurait un rêve par rapport à cela ? 

Aude Moreau. Pour marier les deux, le côté professionnel et le sport de haut niveau, il faut pouvoir être mobile car il faut savoir saisir les opportunités. Pour ma part, je n’ai même pas attendu la fin de mon stage pour que l’on me propose un CDI à la sortie de l’école. A Saint-Etienne, j’ai aussi saisi l’opportunité qui m’était offerte bien que je n’ai jamais fait de commerce au niveau de mes études ..

Lesfeminines.fr. Et aller à l’étranger ? Car vous êtes dans un métier qui est très lié à l’international et on pourrait l’envisager.

Aude Moreau. Pourquoi pas l’Angleterre. J’ai, compte tenu de mes études un niveau correct en anglais mais si je pouvais être bilingue, ce serait un gros plus et effectivement mon entreprise commence à s’internationaliser .. mais pour l’instant, je suis sur un poste où je viens de commencer et si je ne peux pas l’envisager pour l’instant, effectivement, c’est quelque chose que je pourrais envisager dans quelques années et finir ma carrière en Angleterre, si mon corps me le permet encore. C’est quelque chose qui pourrait m’intéresser.

L’émotion du football !

Le football est un sport collectif avec des profils tous différents pour un même objectif. Crédit William Commegrain. lesfeminines.fr

Le football est un sport collectif avec des profils tous différents pour un même objectif. Crédit William Commegrain. lesfeminines.fr

Lesfeminines.fr J’ai noté un fait objectif, vous qui êtes cartésienne … Vous marquez rarement des buts (1 à 2 par saison) ! Justement, quelle sensation cela fait de marquer un but ? 

Aude Moreau. En riant. C’est difficile à dire car j’en marque peu souvent et c’est sûr que lorsque j’en marque, je suis très contente. Je dépasse rarement les deux buts par saison (en riant). Je ne suis pas omnubilée par marquer des buts et l’important pour moi et de faire mon travail de milieu défensive, de permettre la construction du jeu et de récupérer un maximum de ballons. J’axe mon travail sur la récupération de ballons et pourquoi pas de faire la dernière passe et ce sont aux attaquantes de faire le travail de marquer.

Lesfeminines.fr. Le dernier match de Coupe de France s’est terminé sur sept buts pour l’ASSE. Et autant de célébrations. Est-ce aussi difficile que cela de marquer ? Qu’est-ce qui fait qu’il y a cette joie collective que l’on ne retrouve pas dans d’autres sports comme le hand ou le basket. 

Aude Moreau. Je dirais que cela dépend de l’adversaire. (Affirmative) Le jour où je marque contre Lyon, je pense que je fais le tour du terrain. Il y a une saveur particulière quand l’adversaire en face de nous est vraiment supérieur. On a eu l’opportunité de gagner Juvisy en début de saison (2-0). C’est une saveur particulière si on compare au match où on gagne 7-1 car c’est un adversaire que l’on est sensé gagner et on savoure le but différemment.

Pourquoi on aime marquer des buts ? Car pour gagner un match, il faut marquer des buts alors quand le travail collectif aboutit on est forcément contente d’avoir marqué et je trouverais bizarre du contraire. Sinon, il ne faut plus jouer au foot et jouer aux échecs (rires). Ou à la play-station ? Quoi que à la play station, on célèbre .. (rires).

Lesfeminines.fr. Est-ce que vous avez une sensation extraordinaire en mémoire. Un vécu qui vous reste quand vous regardez en arrière et que vous vous dîtes, on a fait un truc extraordinaire. 

Aude Moreau. Oh là. Je ne saurais pas vous dire comme cela. C’est difficile. Il faut réfléchir .. Si, Si ! En fait, j’en ai une ! Ce n’était pas une action extraordinaire mais le but était vraiment important ! On jouait contre le PSG en demi-finale en Coupe de France et sur ce match, on fait un gros match. Tout le monde défend. Tout le monde se bat. Le PSG nous domine mais n’arrive pas à mettre ses occasions au fond.

Je fais un pressing au milieu de terrain. La milieu de côté resserre aussi. Rose Lavaud. Elle récupère le ballon, percute vers l’avant et elle fait une passe à une jeune, Audrey Chaumette, qui n’était pas dans le groupe de la D1 mais qui s’entrainait avec nous en fin de saison. Elle élimine la défenseur et fait une frappe enroulée magnifique. Elle ouvre le score face au PSG. Finalement on gagne 2-0 et on se qualifie pour la finale de la Coupe de France (2013 à Clermont).

C’est une action qui m’a marqué. Un but important.

Lesfeminines.fr. Merci, je ne vois rien d’autres à dire. Ah si Camille Abily. C’est une grande joueuse. Vous avez joué contre elle. Elle va arrêter en fin d’année visiblement. Est-ce que vous avez une grande joueuse en mémoire en vous disant, c’est quand même du Top de Top. Un idéal. 

Aude Moreau. Camille Abily, j’apprécie particulièrement son jeu. C’est une joueuse très technique. Elle fait jouer ses partenaires dans les meilleures conditions et c’est quelqu’un que j’apprécie vraiment de voir jouer. Et puis, elle a un rôle un peu plus offensif que le mien mais cela reste une milieu de terrain axial. Camille Abily, c’est un très bon exemple. Cela fait plusieurs années qu’elle joue au plus haut niveau et qu’elle garde un très haut niveau. C’est pour moi une très grande joueuse.

Lesfeminines.fr. Vous voyez des jeunes qui arrivent ? 

Aude Moreau. Je ne connais pas trop les jeunes mais je peux parler des filles que l’on a vu récemment en equipe de France U19 et U20. Pour avoir vu les matches, je dirais qu’une Marie Antoinette Katoto peut apporter beaucoup à l’équipe de France. J’ai joué contre le PSG récemment et la jeune Geyoro me semble avoir de très bonnes qualités. Il y a de très bonnes joueuses qui arrivent. Je voudrais rajouter au niveau des jeunes, Mylène Chavas notre gardienne mais j’en oublie sûrement. C’est pas mal pour le futur de l’équipe de France.

Lesfeminines.fr. Bien. Il me semble qu’on a fait le tour. Merci d’avoir accepté de parler concrètement de votre parcours professionnel avec la même importance que votre présence qualitative dans le football féminin. Je pense que vous pouvez être un bon exemple auprès de certaines futures joueuses sur la construction d’un avenir professionnel et d’une passion du haut niveau, avec dans les deux domaines, des qualités.

William Commegrain lesfeminines.fr

Entretien lors du dernier Tour de la Coupe de France 19 février 2017.