JO de Rio 2016. Dans une catégorie totalement méconnue de la natation starisée, après 10 kms de course qui se sont terminés à un doigt de différence, Aurélie Muller, 26 ans, tapait la première le panneau vertical et obtenait la médaille d’Argent que seul l’électronique pouvait lui confirmer face à l’italienne Rachel Bruni. Légèrement mieux qu’aux Championnats d’Europe de 2014 où elles avaient fini à égalité parfaite, partageant l’Or. Trois minutes après, elle ne l’a plus.

Dans un sport où le seul moment où on te regarde ce sont les Olympiques, où on te respecte à ta juste valeur, où ta performance vaut autant que celle des plus grandes stars de l’Olympisme .. et bien tu descends à une vitesse supersonique du 3ème étage de la Tour Eiffel, pour te retrouver au sous-sol de l’émotion. Dans une chambre froide. A chercher à te relever. Groggy. KO. Et le pire, encore vivante.

En cet instant où tu voudrais être seule. Il va falloir avancer. Lever le tête. Chasser l’émotion. Et faire face devant tout le monde, notamment les médias.

Après coup, d’ailleurs. La femme est courageuse. Pas une larme ne s’écoule sur le visage de la française. Seuls les aveugles sentent qu’elle pleure. Au ton de sa voix.

Si Aurélie avait voulu être connue, elle aurait choisi une autre discipline que les 10 kms en eau vive. Certains de ne pas rencontrer de Michael Phelps et l’aura qui va avec, à partager des médias dans l’eau glacée de la mer. Cette épreuve, c’est le marathon de la natation. Nager et lutter contre le courant. Naviguer en sachant qu’il faudra à chaque fois faire plus car il est impossible de faire une ligne droite, comme en piscine, délimitée par les lignes d’eau.

A la limite de l’humain.

Combien faut-il d’entraînement pour tenir cette distance, à une telle vitesse et pouvoir postuler à une médaille olympique ? Imaginez ? Le triathlon olympique, c’est 1500 mètres de natation, Soit 30 longueurs de bassin. Là, il s’agit de faire 10.000 mètres, soit 200 longueurs de bassin. S’entraîner, c’est faire plusieurs courses en plus d’1h 56’32 », temps de l’Or Olympique de la néerlandaise Sharon Van Rouwendaal (22 ans) qu’elle va faire en 2016, partenaire d’entraînement d’Aurélie Muller, sous le coaching de Philippe Lucas, à Narbonne.

Qui a le temps ? Qui peut le répéter ? Quel mental il faut pour se mettre à ce plus haut niveau constamment ! 17 kms d’entraînements dans l’eau, deux fois par semaine au minimum.

Et quand, Aurélie Muller, la lorraine de Sarreguemines incorpore l’équipe de Philippe Lucas en 2015. Elle est dans un groupe très performant et a en face la jeune néerlandaise, déjà médaillée de bronze au 200 mètres dos en 2011, médaille d’argent sur 400 mètres nage libre au championnat du monde 2015 et, la même année, finira argentée sur 10 kms nage libre, juste derrière elle.

Elle sait qu’il faut pouvoir suivre, sous le coaching de Philippe Lucas, en plus. Qui n’a pas la réputation d’être un tendre. C’est de l’effort constamment.

Aurélie avait un mental aussi aiguisé que celui d’un cuisinier japonais qui nous prépare des sushis.

Alors, aux JO de Rio, cette fille de 26 ans, qui a réussi l’exploit d’être championne du monde 2015 de la discipline se dit que ce sont ses Jeux. Dans quatre ans, c’est 30 ans. C’est déjà plus loin.

Lorsque vous suivez la compétition vous ne pouvez que noter que cette fille a nagé toute sa course, avec un mental aiguisé comme celui d’un cuisinier japonais qui vous prépare, sous vos yeux ébahis, un sushi découpé mille fois en rondelles. Sans faire une erreur. Le tout pendant 2 heures de temps .. ! Voyez la performance.

Elle était quatrième à 200 mètres de l’arrivée. Elle avait bien 10 mètres de différence avec les deuxième et troisième, l’italienne Rachele Bruni et la brésilienne Poliana Okimoto. Ne me demandez pas comment, et ne vous posez pas la question du pourquoi, cent mètres plus loin la française est au coude à coude avec sa concurrente favorite Rachele Bruni. Toutes les deux, prises par leur duel, ont lâché la brésilienne qui n’apparait même plus à l’écran.

En 2014, aux championnats d’Europe, elles ont dû partager l’Or. Même temps. Au millième près. Elles avaient été dans l’impossibilité d’être partagée. Pourtant, elles s’étaient battues « comme pas possible ». A croire que le Bon Dieu veut qu’elles soient jumelles ? Mais elles, ne le veulent pas !

Les deux filles se battent comme jamais, avec l’eau, avec cette histoire pour que jamais, une telle aventure ne re-survienne.  Aucune ne veut perdre. Aucune ne veut l’égalité. Chacune veut montrer qu’elle est meilleure que l’autre. Le sport tape à la porte de l’écran. Le très haut niveau. Un combat qui ne se reverra pas avant longtemps. Chaque mouvement de bras est un coup donné à l’autre. Des deux côtés. Pour les plus anciens, on revoit la course de formule 1 entre René Arnoux et Jacques Villeneuve (Grand Prix de France 1979). A fond, sans retenue. Tout prêt de l’explosion. Sur la ligne rouge. Celle du sport.

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Quand la tête est au diapason du corps. Lui-même lancé à fond. A ce moment précis où vous maitrisez la seconde comme si vous aviez une heure devant vous. Elle vous parle. Elle est à vous. Le danger est dans l’esprit des autres. La réalité est dans votre performance.

C’est vingt mètres d’un sprint de fou. Elles ont déjà fait 1h56’00 ». Et elles envoient. Aurélie Muller a un finish d’enfer. Elle s’est entrainée pour cela. L’Italienne ne lâche rien.

Il est évident que la française bouscule l’italienne. L’italienne aurait fait la même chose, sauf qu’elle n’avait pas la contrainte du boudin. Elle a un mouvement de bras de plus à faire. Son bras est trop court. La française s’est révoltée contre cela. Elle a voulu aller plus loin car mentalement elle était devant l’italienne. Ce n’était plus nager qui était important, c’était taper avant l’autre. Et Rachel Bruni l’empêchait de taper. Elle a eu ce sursaut de championne que l’autre n’a pas eu. L’esprit du sport aurait dû donner la victoire et la médaille d’argent à Aurélie Muller.

On lui a laissé deux minutes. Trois peut-être. Et l’enjeu des Jeux est venue frapper violemment à la porte d’Aurélie. Là, sur le tableau, devant le podium, son nom a disparu. Elle était disqualifiée. On l’a ramené ailleurs. Elle a dû entendre l’hymne néerlandais. Elle a dû entendre les italiens compter leurs médailles, dans cette course des Nations qui n’est pas celle des sportifs. Elle a dû comprendre le sourire du Brésil pour la 3ème place qui s’offrait à elle.

Tout cela, c’est la tête.

Aujourd’hui, elle est seule. Seule avec cette réalité Olympique. Elle ne sera pas invitée comme une médaillée. Vingt fois, trente fois, elle répétera l’histoire. L’entendra. S’expliquera. Quelle torture, la vie lui prépare quand elle reprendra tout le travail réalisé. Tout cela pour une médaille d’une couleur différente. Les deux filles étaient vraiment dans la compétition. Dans le sport. Dans l’idéal Olympique.

Pour cela, on aurait dû lui laisser l’Argent.

« Je n’ai pas dit mon dernier mot »

Là demain, cette fille repartira. A la bagarre. Seule, loin des médias. Si proches de ce qu’elle voudrait que l’on raconte d’elle. Qu’elle travaille pour faire une performance et dans cette lutte pour la médaille, moi qui revoit les images à la vidéo, je n’ai vu qu’une chose : deux filles se battaient, non pas pour faire une médaille. Elles l’avaient.

Elles se battaient pour une seule chose : faire une performance. Être meilleure que l’autre. A la régulière, sportivement.

Les juges en ont décidé autrement. L’Italie en a décidé autrement mais le sport est aussi le sport. Quand Aurélie (26 ans) regardera Rachele Bruni (25 ans). Dans sa tête, il y aura une vérité.

Je t’ai battue.

Après c’est affaire de politique. Et ce sont aussi les Jeux Olympiques, ne retenant que le coming-out de Rachele Bruni, en dédiant sa victoire à sa compagne.

William Commegrain lesfeminines.fr

Souvent tu as 12 participants dans une épreuve. Quelques fois huit. Moins il y a de monde, plus tu as de chances d’avoir une médaille. En moyenne 25%. 75% repartiront après avoir tout donné car il y a longtemps que la participation n’est plus falsification. Chaque athlète olympique s’est entraîné au delà du raisonnable pour faire mieux et plus le jour de sa course.

En natation, 10 kms eaux vives. Elles étaient 26 au départ. Cela ramène à -12% de chances d’avoir une médaille. Et après près de 2 heures de course en eau de mer, seules 3 minutes séparera la 1ère (1h56’32 » ; Sharon van Rouwendaal) de la 23ème, la canadienne Stéphanie Horner (1h 59′ 22″). Cela montre le niveau.

Pour être dans les médailles. Il fallait avoir fait beaucoup de travail.