Michael Krobath: Mme Martina Voss-Tecklenburg, contrairement à vos joueuses, vous avez déjà participé à une Coupe du Monde en tant qu’ancienne membre de l’équipe nationale allemande. Vous souvenez-vous de votre tout premier match?

Martina Voss-Tecklenburg : C’était en 1991 lors de la Coupe du Monde en Chine. Mais pour être honnête, je ne me souviens pas de notre premier adversaire. Je sais seulement que nous avions gagné.

Quel souvenir en gardez-vous?

Je me souviens de l’attention médiatique, de la culture et d’un entraînement très particulier. Un matin, quand nous sommes arrivées dans le stade, 5000 Chinois se sont levés dans les tribunes et nous ont applaudies. Je suppose qu’on le leur avait ordonné.

Quels enseignements en avez-vous tirés?

Qu’il est essentiel, lors d’un tournoi, de trouver le juste équilibre entre concentration et plaisir. Il faut savoir relâcher la pression sans perdre en performance sportive.

Comment y arrive-t-on?

En ne pensant pas constamment au football. Le Canada est un pays merveilleux où il y a beaucoup à voir. Et nous allons en profiter. Mais il est aussi important de ménager des plages de liberté pour chacune. Sinon, on finit par se taper sur les nerfs.

L’équipe a-t-elle une sorte de code de conduite pour la Coupe du Monde?

En temps normal, nous avons déjà certaines règles de conduite. Et nous ne voulons pas tout chambouler maintenant. Les joueuses savent comment elles doivent se comporter. Au Canada, nous donnerons une bonne image, même en dehors du terrain.

Est-ce que trop d’harmonie peut nuire aux performances?

Non. Une forte cohésion est essentielle pour réussir un tournoi. Si quelque chose cloche sur le plan émotionnel, c’est à moi de remettre de l’ordre.

La Coupe du Monde est une formidable vitrine, où chacune veut briller. Comment empêcher que des intérêts individuels priment sur l’intérêt collectif?

C’est un point important. Car face aux meilleures, nous ne pouvons nous imposer qu’en tant qu’équipe. Je sais exactement à quelles joueuses je dois accorder une attention particulière, et je mène des entretiens individuels. Un exemple: Ramona Bachmann dispose de qualités individuelles exceptionnelles, mais elle ne les déploie sur le terrain que lorsqu’elle se sent pleinement intégrée à l’équipe. Voilà le genre de choses que je vérifie très régulièrement…

Comment faites-vous pour convaincre les joueuses?

Avec la psychologue du sport, nous veillons à ce que tout le monde ait bien compris: dix actions décisives valent bien mieux que cent contacts avec le ballon.

Quelle équipe est actuellement la meilleure au monde?

Pendant longtemps, les équipes d’Allemagne et des Etats-Unis ont dominé. Mais aujourd’hui, la France, la Suède, la Norvège, le Canada et le Japon les ont rattrapées. C’est une bonne chose, car cela accroît l’attrait du football féminin et l’intérêt de la Coupe du Monde.

Qui sera champion du monde?

La France. L’équipe a énormément progressé et elle est désormais mûre pour le titre.

Et qui est la meilleure joueuse?

Les entraîneurs n’aiment pas répondre à cette question. Nous préférons mettre l’accent sur le collectif. Bien sûr, la Brésilienne Marta, élue cinq fois meilleure joueuse mondiale, est l’une d’entre elles. Mais nous connaîtrons le nom de la meilleure après la Coupe du Monde.

Lors de la phase préliminaire, la Suisse rencontrera le Japon, champion du monde en titre, l’Equateur (49e mondial) et le Cameroun (51e mondial). Un groupe de rêve, comme le disent les médias?

Je ne dirais pas cela. Le Japon est clairement le favori du groupe, l’Equateur peut probablement être battu et le Cameroun est dangereux à en juger par les vidéos. Face à ces adversaires, la deuxième place pourrait se disputer lors du dernier match.

Contre le Japon, allez-vous aligner les réservistes afin de ménager les titulaires?

Il n’y aura pas de tactique. Ce serait un mauvais signal pour l’équipe. Nous ferons tout pour obtenir le meilleur résultat possible contre le Japon.

Qui souhaitez-vous affronter en huitième de finale?

L’idéal serait que les Canadiennes, qui sont très fortes, terminent premières du groupe A et que nous rencontrions alors les Pays-Bas, la Chine ou la Nouvelle-Zélande.

Dès les huitièmes de finale, des tirs au but sont organisés en cas de match nul à l’issue des prolongations. Prévoyez-vous un entraînement spécial?

Oui, afin d’acquérir une certaine assurance, nous intégrons cet aspect aux matchs d’entraînement: pour être compté, chaque but marqué doit être confirmé par un penalty.

Comment tire-t-on un penalty correctement?

Si l’on en croit les statistiques, il faut viser la lucarne, qui est l’endroit le plus difficile à atteindre pour la gardienne. Le risque étant alors de tirer au-dessus du but. Mais je suis optimiste en ce qui concerne les tirs au but, car nous avons beaucoup de bonnes tireuses.

La Coupe du Monde au Canada se jouera sur gazon artificiel dont la qualité est réputée mauvaise. Le mécontentement est grand, et quelque 60 joueuses ont même protesté auprès de la FIFA. Soutenez-vous cette action?

Je ne la soutiens pas, mais je la comprends. Lors du tirage au sort, nous avons vu le gazon artificiel de Vancouver: il était dur comme du béton. On peut en outre se demander si ce type de gazon ne nuit pas à l’égalité des chances, car les équipes africaines n’ont guère la possibilité de s’entraîner sur un tel revêtement. Mais nous nous sommes accommodées de cette donnée. Notre euphorie est bien trop grande pour que cela gâche notre plaisir.

La pelouse artificielle est-elle plutôt un avantage pour la Suisse?

Je pense que oui, car nous sommes fortes sur le plan technique. Nous nous entraînons désormais exclusivement sur ce revêtement pour que les joueuses en assimilent les particularités. Par exemple, le fait que les dégagements sont plus courts que sur gazon naturel parce que la gardienne enfonce moins son pied sous le ballon. Ou que le jeu est bien plus rapide et pardonne moins les fautes.

Vous êtes en poste depuis 2012 et avez hissé l’équipe jusqu’au 19e rang mondial. Quels sont, selon vous, les principaux progrès?

En matière de jeu, nous avons évolué aussi bien individuellement que collectivement: désormais, nous sommes capables de tenir notre jeu rapide sur une période prolongée. En outre, l’équipe a gagné en confiance et sait se montrer plus offensive.

J’ai donc essayé de voir où étaient nos points forts et notre force, c’est le côté offensif. Nous avons de très bonnes joueuses à ces postes. Nous avons donc misé là-dessus dans nos matches et cela a marché.

Vous avez dit un jour: «Je veux changer les mentalités». Comment donne-t-on confiance à une équipe?

En menant de nombreux entretiens individuels. Nous montrons aux joueuses de bonnes actions et leur enlevons la crainte de commettre des erreurs. Je souhaite que nous fassions preuve de courage et que nous osions des dribbles même si nous ne les réussissons pas toujours. L’objectif: intérioriser le fait que nous sommes capables de battre presque n’importe quel adversaire.

J’ai aussi expliqué ma philosophie aux joueuses, en leur disant: « j’aimerais que tu essayes. Si tu essayes et ça ne marche pas, ce n’est pas grave. Mais si tu n’essayes pas, si tu joues prudemment, alors tu n’es pas la bonne joueuse pour moi. » Cela leur a donné confiance.

Les Suissesses sont-elles encore un peu trop sages?

Globalement oui. Nous devons aussi jouer les coups francs plus intelligemment. Au lieu d’appliquer à la lettre les variantes étudiées, nous devons agir plus vite et improviser. Mon objectif est que nous nous distinguions des autres.

De quelle manière?

En tenant compte de nos forces et de nos faiblesses, nous voulons faire certaines choses différemment et avoir le courage d’agir de façon non conventionnelle. Un exemple: nos deux gardiennes Gaëlle Thalmann et Stenia Michel sont assez petites. Pour qu’elles puissent mieux voir le ballon, nous ne formons pas de mur pour les coups francs tirés à plus de 25 mètres.

Les équipes qui remportent des tournois disposent généralement de 15 à 16 joueuses de même niveau. Est-ce le cas de la Suisse?

Certes, nous n’avons pas un banc de remplaçantes de même qualité que les grandes nations comme les Etats-Unis et l’Allemagne. Mais pendant la phase de préparation, nous avons gagné sans Lara Dickenmann, Vanessa Bürki et Gaëlle Thalmann contre une équipe de Suède performante, ce qui était important. Au Canada, nous aurons néanmoins besoin des meilleures pour avoir une chance.

Comment vivez-vous l’anticipation de la Coupe du Monde en Suisse?

C’est une période très intense. Les joueuses et moi-même sommes nettement plus sollicitées par les médias. Nous recevons aussi des demandes pour tenir des conférences dans de grandes entreprises. Ce qui me réjouit particulièrement, c’est que le grand public sache désormais qu’il existe une équipe nationale féminine de qualité en Suisse.

Selon vous, de quoi votre équipe est-elle capable au Canada?

Nous avons un objectif commun: passer la phase de groupes. Après, nous verrons au fil des matches.

Avec une expérience comme la vôtre, est-on encore nerveux avant une Coupe du Monde?

Je me réveille parfois la nuit et je passe en revue des unités d’entraînement ou je réfléchis à des variantes tactiques. Oui, la tension est là.