Lundi soir, jour d’avant-première à l’UGC de Bercy pour le film qui accroche l’actualité « Moi, Tonya », quand la Corée du Sud tente des fiançailles avec la Corée du Nord, lors de cette 23e Olympiade . Qui sera dans cette salle à aller voir l’histoire maintenant passée des années 1990 qui avait enflammé la France amoureuse du patinage artistique avec la française Surya Bonaly et Philippe Candeloro, les médias mondiaux et l’esprit olympique, déjà bousculé par le séisme Ben Johnson de 1988 à Séoul ?

Salle vide parlant de sport ? Salle pleine relatant la violence de la vie humaine ?

Une salle pleine !

Bingo ! Salle pleine avec quelques originalités faites de sacs de sport encore humides d’une transpiration exhumée, de maillots Adidas qui n’ont rien d’une marque tellement ils respirent l’effort et puis des femmes, des hommes, des jeunes, des cheveux un peu trop blancs, des souvenirs prêts à sortir du coffre-fort de la mémoire. Venu voir et comprendre ce qu’il se passe à l’intérieur d’une performance de très haut niveau.

Caméra de la réalité de tant de travail, d’espoirs pour quelques instants dans la plus belle des lumières. Et quelle lumière ! Celle des JO et de ses médailles, faites au son du « plus Haut, plus vite, plus loin » qui nous a tous émerveillés. Sublimés.

Que s’est-il vraiment passé en 1994 pour que l’Amérique et le Monde se mette à conspuer cette jeune femme de 23 ans, incroyablement forte, extraordinairement forte – la seule femme à réussir le triple axel – et qui ressortira de 20 ans de patinage, sans rien. Vidée. Le néant juste occupé par l’exemple de l’ignominie humaine. Elle, la Bête qui « tue » la Belle Nancy Kerrigan.

Honnit * quasiment à jamais (*blâmer quelqu’un en lui faisant honte, le vouer au mépris public). Si méprisée qu’un juge, sans sourciller, la condamnera au pire. Bannit à vie du patinage. Elle sans diplôme. Sans famille. Il ne lui restera plus que le sang de la boxe pour « payer les factures ».

Elle aurait pu s’effondrer. Aller plus bas et encore plus bas. Le film se terminera sur ces mots, comme une épitaphe sur la tombe de ses souvenirs « Je veux juste que le Monde sache que je suis une bonne mère ».

Une mère de cinéma bien trop réelle !

Maxime Le Forestier a chanté qu’on ne nait pas tous avec la même chance, suivant que cela soit au Nord ou au Sud de notre Earth. Il a sans aucun doute raison. Juste, oublié qu’on ne nait pas tous avec la même chance suivant « le parcours et l’identité humaine » de ceux qui nous ont fait naître.

LaVonia Harding, mère de Tonya Harding.

LaVonia Harding, mère de Tonya Harding.

Les cabinets sont pleins des blessures psychologiques générées par l’éducation parentale. L’Être qui doit conduire à la confiance et à l’épanouissement, puisqu’il sait. Puisqu’il protège. Puisqu’il aime. Puisqu’il transmet. A la mère de Tonya Harding, il lui a manqué l’essentiel. « La protection et l’Amour ». Ses mots sont des coups de poings, des poignards si violents qu’ils en deviennent irréels. Pour endurcir « la Bête », dira-t-elle. La prestation d’Allison Janney est si forte, si puissante qu’elle en récoltera la nomination comme Meilleur second rôle au Golden Globes.

Car pour Elle, cinq mariages, une fille. Sa fille est une bête.

Obéissante, Soumise, Une écoutante de sa rancoeur de la Vie, une adepte de sa vision des choses. Une proie à sa psycho-rigidité, proche de la manipulation des pervers narcissiques si elle n’avait pas cette folie de trop croire en Elle. Faire de sa fille une championne. Elle qui a un don que la mère n’a pas.

Alors la jeune Tonya Harding qui possède ce don incroyable qui lui fait gagner sa première compétition à quatre ans va se jeter dans les bras d’un jeune homme Jeff Gillooly pour vivre une histoire d’Amour proche de l’Enfer d’une guerre. Ne sachant pas ce qu’est l’Amour, elle n’y voit que les moments d’accalmie. Comme une sportive habituée à aller au-delà de ses possibilités, de tout repousser, elle supporte sa Vie comme elle supporte les heures d’entraînements qui poussent à l’extrême. « Aller plus loin, plus haut, plus vite ». Bien dans le sport. De la folie dans sa vie intime. Encore faut-il le savoir ?

Les coups sont cachés. Habituels. Absorbés. Chemin obligatoire vers la réussite. Qu’elle réussira trop peu de fois, trop souvent mal notée par les Juges qui lui reproche « un air de famille américaine qu’il ne faut pas avoir ! ». Mais toujours au minimum dans les six premières. A la force de sa douleur. En pleurant, souvent. En se défendant. Sans jamais reculer. Une vie dure. Payée rarement mais quel bonheur lorsqu’elle l’est. Deux fois première au Skate América. Une fois championne des Etats-Unis en 1991.

Tonya Harding interprétée par Margot Robbie

Tonya Harding interprétée par Margot Robbie

Cette femme rayonne quand elle réussit. Quel bonheur ! Pour cet instant de lumière. Le moment où sur la glace, là au centre de la piste. Elle reçoit comme une ivresse infinie, l’amour des autres. Applaudie. Adulée. Aimée. Respectée. Exister. Exister pour cela. Femme forte. Peu importe le sacrifice, le mépris des juges qui la juge en deca de ses productions. Racisme de gens bien élevés. Jamais dans les mots. Juste le pouvoir qui rabaisse. Injuste. La Vie. Encore la Vie.

Oui, Tonya Harding dont on ne saura jamais si elle avait été consentante, de cette attaque du 6 janvier 1994 contre Nancy Kerrigan, à la veille du Championnat américain qualificatif pour les JO. Nancy, une amie mais aussi une concurrente. Américaine à la plastique très Hollywoodienne, médaille de bronze aux JO de 1992 en France et grand espoir de médaille d’Or dans un environnement où le patinage américain se battait pour être le Roi face à la nouvelle ouverture du monde communiste après la chute du Mur de Berlin.

L’attaque, les pleurs, le « Pourquoi, pourquoi pourquoi » de la jeune fille qui seront autant de questions posées par les Stars and Stripes. Ni une, ni deux. Esprit América es-tu là ?  Le comité Olympique américain lui ouvrira légitimement la porte, bien qu’elle ne se soit pas produite.

Oui, Tonya Harding ne peut être qu’excusée de s’être entourée de la racaille de la Vie. De celle qui sait tout sans n’avoir jamais rien fait. Un garde du corps qui n’a jamais gardé autre chose que sa télécommande. Un mari séparé, repris, séparé, dépassé qui veut tout, à n’importe quel prix. Pour exister. Des gens sans talent mais pas sans ambition. A l’image de sa mère.

Nancy kerrigan

Nancy Kerrigan, médaille d’argent aux Jo de Lillehammer (1994)

Pour ces jeux de 1994 qui ont suivi ceux d’Albertville en 1992, première version de la nouvelle organisation qui font que les JO d’Hiver s’intercalent tous les quatre ans, deux ans après les jeux d’été, elle va prendre cher. L’enquête a évolué. Le mari a reconnu sa culpabilité ; le garde du corps, cerveau très gras de l’opération au budget rabougri de 1000 $ dit revenir de la Guerre du Golfe plus vu sur les écrans que sur le terrain et les hommes de mains sont les dignes représentants des premiers primates de notre existence.

En finale, elle aura des lacets qui se cassent ? Une patineuse en pleurs qui supplie les juges de lui donner une seconde chance. Une prestation où le mot confiance est au placard, comme une funambule sur un fil, remuant de gauche à droite face à un public qui a laissé la performance de côté depuis longtemps, l’esprit rivé sur la chute.

Elle récoltera une 8e et dernière place de finaliste aux JO de Lillehammer (Norvège) quand Nancy Kerrigan montera sur la seconde. Assez aimée pour être privilégiée, en récompense de ses efforts pour revenir de cette attaque faite deux mois plus tôt. Pas assez forte pour avoir le graal olympique, donné à la l’ukrainienne Oksana Baiul, voyant la française Surya Bonaly finir à la quatrième place, créatrice elle aussi d’un mouvement unique « le salto arrière » et dont les spécialistes se souviendront de ses larmes aux championnat du Monde de 1994, refusant de monter sur sa seconde place, alors que l’Or lui était dévolu. Décision de juges. Une réunionnaise dans un monde de blancs et de « glace » nous fera-t-elle comprendre.

Quant à l’américaine dont le nom reste pour l’éternité associé à cette attaque, mal née, mal aimée par sa mère, bousculée par la Vie, à l’esprit de compétition hors norme, elle sera dénudée par la Vie. Une condamnation à 100.000 $ d’amende, 10.000 $ de dépens. Interdiction totale d’exercer dans le milieu du patinage. La fin d’une Vie quand ses compères avaient récolté 18 mois de prison ferme qu’elle crie vouloir faire plutôt que de la priver de la glace. Personnage que le patinage ne veut pas, lui qu’il nous a habitué à la plastique de la splendide Katerina Witt.

Que lui reste-t-il de tout cela vingt quatre après ?

Margot Robbie, seconde nomination aux Golden Globes, l’actrice australienne vue dans « Le loup de Wall Street » aura ses deux mots forts, face caméra : « Je revois l’air de caca de Nancy Kerrigan en recevant l’Argent elle qui s’était donnée l’Or ! » Et « la Vie fait ce qu’elle veut de vous ! », après un KO vertigineux face à « une maousse costaud » lavandière du Bronx américain, collée entre les quatre cordes d’un ring. Bouche en sang. Déjà relevée. Encore prête au combat.

En sortant, dans une salle essoufflée par cette vie bousculée, qui a attendu les dernières images pour se lever, j’ai retenu : « Surtout dîtes que je suis une bonne mère. » Sous-entendu : « Elle ».

Un film à voir pour tous les amateurs de sport de haut niveau.

William Commegrain lesfeminines.fr

Sortie en salle Mercredi 21 février 2018. Trois nominations aux Golden Globes. A voir.