L’annonce du départ de Shirley Cruz est une blessure qui ne se refermera jamais pour la D1F française. La milieu de terrain de 32 ans, costaricaine et française, a habité la mémoire des deux seuls clubs où elle est passée : l’Olympique Lyonnais et le Paris Saint Germain.

15 ans de carrière. Quinze ans qui se seront fait sous la direction unique de coaches français : Farid Benstiti, Patrice Lair, Gérard Prêcheur. Finalistes et vainqueurs de la Women’s Champions League de 2010 à 2017.

Shirley Cruz a le goût de l’aventure.

Lorsque Farid Benstiti la prend à Patrice Lair pour son projet « professionnalisation du PSG » au début de la saison 2012-2013, elle n’a que 26 ans et déjà, une renommée incroyable avec six titres de championnes de France (2007 à 2012), deux Coupes d’Europe (2011 et 2012), une finale européenne en 2010 et deux Coupes de France.

Dans les salons du Parc des Princes, à côté des deux stars allemandes qu’étaient Linda Bresonik et Annike Krahn, doubles championnes du Monde (2003 et 2007), parmi cinq à six journalistes seulement présents, elle me répondra : « je suis venu pour l’aventure. » Ses yeux brillaient, elle était prête à écrire la nouvelle histoire du PSG féminin.

Aujourd’hui, vous ne trouverez aucune joueuse du Top mondial qui ne la connaisse pas et qui nesait pas sa valeur. Elle, qui sans souci, autrement qu’héritière de ce magnifique pays vert du Costa Rica, aurait été adulée sur les terres américaines qu’elle n’a jamais voulu suivre.

Une joueuse exceptionnelle, incroyable dans les enjeux.

Farid Benstiti (Ol et PSG) le dit : « elle est venue par hasard en 2006, elle n’est jamais repartie ». Patrice Lair (OL, PSG) en avait encore la voix qui tremblait quand il m’en avait parlé. « Au stade Olympique de Munich, chez les allemandes et contre le FFC Frankfurt, triple champion d’Europe à l’époque, elle fait la plus belle partie que je n’ai jamais vu. Elle a volé sur tout le match. Devant 50.212 personnes. Le titre, c’est elle qui nous le donne ! Et avec la consécration européenne de l’OL pour un premier doublé !« .

Avec le PSG, contre Wolfsburg en 2015, pour une demi-finale impossible contre le double vainqueur de la Women’s Champions League, Farid la voit marcher sur l’eau et, éliminer à elle seule, l’équipe allemande devenue leadeur européen, avec un (0-2) qui restera en travers de la gorge de son coach, Ralf Kellermann, élu meilleur coach FIFA l’année précédente.

Shirley Cruz. Capitaine du Costa Rica. Lesfeminines.fr

Shirley Cruz. Capitaine du Costa Rica. Lesfeminines.fr

Les joueuses la mettrait sans problème dans le Top 10 mondial

Shirley Cruz. Américaine ? Brésilienne ? Allemande ? Elle aurait été élue meilleure joueuse du monde sans problème. Non, elle est du Costa Rica. Un petit pays d’Amérique centrale. La Suisse de l’Amérique centrale pour certaines raisons et surtout le seul pays au monde à n’utiliser que l’énergie provenant de sources renouvelables (soleil, mer, terre).

C’est donc avec les clubs qu’elle fera son histoire. En 2017, face à l’Olympique Lyonnais de Gérard Prêcheur, c’est encore elle qui donne la balle pour gagner le match à Marie-Laure Delie après avoir fait subir, dans une autre action, une course à Camille Abily qui devrait rester dans sa mémoire. 1m62 de détermination qui était partie de son terrain pour arriver dans la surface lyonnaise, certaine d’elle, sans douter et placer un tir cadré que Sarah Bouhaddi avait sorti quand une des meilleures joueuses au monde n’avait eu comme ressource que de voir le dos de son numéro, espérant une erreur qui n’était pas arrivée et qui ne serait jamais arrivée.

La cannibale des trophées ne s’est jamais raté dès lors qu’elle se mettait à sentir l’odeur d’une finale. Même la lourde défaite face aux USA en finale de la Gold Cup 2015 (6-0) ne l’avait pas départie de son flegme « quasi britannique ». Il faut dire que la place de finaliste qualifiait pour la première fois le Costa Rica féminin pour la Coupe du Monde 2015, suivant la qualification historique des hommes au mondial brésilien de 2014.

Shriley Cruz, .Lesfeminines.fr

Shirley Cruz, .Lesfeminines.fr

Shirley Cruz. J’ai encore en mémoire les mots de Sandrine Soubeyrand pour son dernier match où les larmes avaient coulé dans le coeur de Gaetane Thiney et de Nelly Guilbert. Quarante ans de football dont vingt cinq au plus haut niveau. 198 matches internationaux. La capitaine tricolore, maintenant directrice des sélections avait eu cette phrase. « La meilleure joueuse que j’ai vu dans le football féminin ? C’est Shirley Cruz. »

Elle les a peut-être entendu tous ses compliments. Certainement. Les a déjà lu. Jamais une once d’orgueil en dehors du rectangle vert. Dans les victoires comme lors des défaites. On a perdu ou on a gagné. Elle l’analysait et déjà, passait à autre chose. A demain. Simplement à demain.

Elle ne viendra plus jamais en D1F. En France. A moins que le Costa Rica ne se qualifie. Ce sera difficile. Elle est partie en Chine. A la question posée. Que pensez-vous de Shirley Cruz ? L’homme qui a été interrogé a répondu : « Excellente joueuse. Un mental d’acier. Jamais démoralisée. Toujours prête à mieux. Une leadeur ». La voici dans l’équipe de Gérard Prêcheur.

Farid Benstiti, champion de Chine en titre, cochera certainement les matches à venir. Face à Shirley Cruz, c’est obligé.

1m62, la taille de Shirley. Exactement celle de Daoudi Sana, 20 ans en mars 2018, joueuse prometteuse du PSG, partie s’expatrier à l’Atletico Madrid, Championne d’Espagne. 

Milieu de terrain naviguant entre une place de six et de huit exactement dans le profil de sa glorieuse aînée, il était intéressant de faire le lien de ce qui leur ressemble, notamment dans cette détermination à vivre, Ailleurs. Sans trop se poser la question d’Avant pour mieux vivre le moment et préparer l’Après.

Sana Daoudi aime l’aventure.

Vingt ans. Au PSG. Tu as très peu de chances de jouer. Le club a fait exploser Grace Geyoro (20 ans) qui portera les couleurs de l’Equipe de France pour longtemps. Erika, l’internationale brésilienne est revenue. Sa compatriote Formiga, six Coupes du monde et JO a le brassard et Aminata Diallo, pour sa deuxième saison commence juste à prendre sa place. Sana est championne de France et vice-championne d’Europe U19 2017. Elle est dans le groupe. La Coupe du Monde U20 arrive en France en 2018. La gamine a du caractère. Sana part en prêt en Espagne, à l’Atletico de Madrid.

C’est rare. Pourtant Anissa Lahmari, autre joueuse phare du PSG, est revenue d’Angleterre pour aller au Paris FC. Pourtant, une plus ancienne, Ouleymata Sarr (22 ans) a préféré quitter le PSG pour aller à Lille. Elle a réfléchi. Elle ne veut pas quitter le PSG. Elle veut du temps de jeu. Elle ira en Espagne. Comme cela. Pour vivre et jouer. Pour jouer et vivre. Une aventure comme on aime en vivre à vingt ans.

« je manquais de temps de jeu au PSG, j’étais à la recherche d’un club ambitieux. J’ai fait le choix d’aller à l’étranger car je voulais découvrir autre chose, un autre football et une autre culture. Le bilan est très positif. Sportivement déjà, j’ai du temps de jeu, je découvre un autre football et j’ai pu jouer de gros matchs comme contre le FC Barcelone. En dehors du terrain, je découvre une nouvelle culture et les gens sont très chaleureux. Ils aident beaucoup. Vraiment, je ne regrette pas ce choix. »

Daoudi Sana. Equipe de France U19 et U20.

Daoudi Sana. Equipe de France U19 et U20.

Voilà, le départ peut rendre heureuse. Il rend heureux. Cela dépend comment on regarde ce qui nous arrive. Notre perception et après notre interprétation. A ce sujet, comment joue-t-on au football là-bas ? L’Atlético est déjà venue jouer au Camp des Loges en pré-saison pour y recevoir une fessée. Mais c’est la pré-saison. Et le football espagnol monte tranquillement avec un FC Barcelone qui voudrait bien avaler le roi lyonnais (quadruple championnes d’Europe) en mars 2018 pour les quarts de finale de la WCL.

Ici aussi, elle apprend pour mieux revenir.

« le football est extrêmement technique et précis. Ca joue beaucoup dans les petits espaces, on travaille beaucoup tactiquement donc il faut avoir beaucoup de réflexion sur le terrain. Les joueuses sont tout le temps en mouvement. Je pense que c’est un football qui me correspond. » La milieu de terrain a comme son aînée ex-parisienne, le plaisir de l’action rapide faite de passes courtes, appuyées et déterminées.

C’est avec cette nouvelle approche du football, cet autre regard travaillé dans un cadre de compétition extrême puisqu’il n’y a qu’un seul objectif pour l’Atletico Madrid. « gagner la Liga devant Barcelone, actuellement leadeur au goal average, et aller en Ligue des Champions » que la jeune française apprend à monter en gamme.

Aidée d’Aurélie Kaci, une parisienne en 2012-2013 qui avait explosé la D1F dans un trio d’enfer composé de Kenza Dali, Shirley Cruz et Elle ; les voilà les deux françaises du club champion 2017 devant Barcelone avec Perle Morroni (prêt du PSG) et Elise Bussaglia, 177 sélections qui portent depuis cette saison les couleurs catalanes, en train de composer une diaspora française faite d’internationales aux maillots Bleus.

Vivre à l’étranger, pas de souci.

Vivre à l’étranger. C’est respirer son air. Et l’air espagnol a tout d’une ère Historique avec l’indépendance catalane qui frotte « la barbe » de la royauté madrilène. La jeune joueuse voit l’Histoire. « c’est vrai que j’ai eu la chance d’être en Espagne durant les événements. C’est quelque chose qui restera gravé à vie pour les espagnols et catalans. »

Ecoute-t-elle encore la France. Là respire-t-elle. A l’évidence. Les réseaux sont là pour faire résonner les gens qui s’aiment, éloignés par la distance.

Shirley Cruz part. A-t-elle pensé à une place ? « Pour l’instant je suis concentrée sur ma saison à l’AM, on verra ce qui se passera dans le futur ». Elle ne sait pas encore si elle a le niveau de se l’affirmer. Elle a raison. Attendre la réponse du terrain et la saison. D’autant que Shirley, quand on a vingt ans, c’est juste quelqu’un. « Pour moi, malgré toutes les grandes joueuses passées par Paris, Shirley est la meilleure joueuse que j’ai pu côtoyer à Paris. Elle est vraiment spéciale, c’est un phénomène sur le terrain. Dans le groupe, c’était une leader, elle nous donnait beaucoup de conseils à nous les jeunes. J’ai beaucoup appris à ses côtés. »

Il me reste à lui poser la question de l’amitié de ses Bleues U20 qui vont essayer de faire résonner la Marseillaise, un vendredi 24 Août pour le gain d’un titre de Championne du Monde que la France a touché d’un doigt en 2014 (3e) et de deux doigts en 2016 (2e).

Un 1/16e de finale royale va opposer le Paris FC au Paris Saint Germain et quelques unes se retrouvent dans les deux camps : « j’ai pu en parler vaguement avec quelques joueuses lors du stage U20 en EDF. Je pense que ce sera un gros match, très serré. Malgré le fait que je suis proche de certaines joueuses du Paris FC, j’espère quand même que le PSG va gagner ! « .

La Coupe du Monde, ce n’est pas un rêve. C’est un objectif à remporter.

Le club, d’abord le club. Puis toutes ensemble pour la Coupe du Monde. Avec cette dernière question. La Coupe du Monde U20 en France. Un autre mot que « le rêve » ?

Vous voulez savoir la réponse ? Elle fuse. « La remporter ».

Shirley Cruz. Daoudi Sana. 1m62 de talents. Même poste, même profil. L’une part a 32 ans en Chine. L’autre a 20 ans, est partie à l’étranger pour nous obliger à mieux la connaître comme à mieux se connaître.

Mobilité. Il en faut du caractère.

William Commegrain lesfeminines.fr