15 septembre 2017. La revanche au Danemark face aux Pays-Bas. Match à guichets fermés, annulé par la fédération pour cause de grève et désaccord entre les joueuses de l’équipe nationale et leur fédération DBU. A côté, la grève des français en Afrique du Sud (2010), semble bien lointaine.

Visiblement les demandes des joueuses n’ont pas de précédent. Elles en veulent plus. Peut-être parce qu’elles n’ont rien.

Comment négocier quand il n’y a rien comme cadre passé qui donne les bases d’un consensus ? Comment négocier quand il s’agit d’avancer un piolet bien plus loin qu’où se situait la dernière marque ? Il n’y a pas cinquante solutions. Il faut mettre la barre des revendications très hautes. Exagérément haute.

Comment donner du poids à une telle revendication exagérée pour qu’elle ne passe pas pour une proposition inaudible tant elle est décalée ? Il faut faire prendre à l’autre un gros risque. Le risque de lui faire perdre quelque chose qui lui est important voire essentiel.

Alors quand les deux parties ont conscience de leur éloignement, elles trouvent les moyens de se rapprocher en « gagnant » chacun sur ce qui leur est important.

Une nouvelle avancée pour celui qui a crée le blocage, la garantie de ne pas perdre ce qui est important pour celui qui a subi l’orage.

L’avantage d’une telle situation quand elle bien encadrée avec des revendications saines et légitimes, c’est qu’elles fixent le cadre des futures négociations et donne une vision à moyen ou long terme pour celui qui subit, lui permettant de prévoir les échéances dans le temps qui répondront aux futures sollicitations. Souvent moins agressives et prévisibles. Ce qui convient à des relations professionnelles contraires mais basées sur un intérêt commun.

Qu’est-ce qui se passe au Danemark ? Les vice-championnes d’Europe, « vent debout » contre leur fédération.

L’équipe nationale féminine danoise a menacé sa fédération de ne pas jouer les matches à venir, contre les Pays-Bas le Vendredi 15 et le 19 septembre, la Hongrie. Pour donner du poids à ces démarches, les joueuses danoises avaient refusé de faire un entraînement préparatoire au match contre les Pays-Bas. La fédération, en réponse avait annulé ce match « PHARE », qui devait se jouer, à guichets fermés au Danemark !

Le poids d’une telle annulation avait, bien entendu, des conséquences d’image et de popularité conséquentes puisqu’il s’agissait, ni plus, ni moins, que de la revanche amicale de la finale de l’Euro de Juillet 2017 ! On imagine la ferveur attendue du public et des médias devant une telle rencontre, propulsant l’ambition danoise, dynamisée par un excellent euro, sur le terrain de la future Coupe du Monde.

La fédération danoise avait coupé court et fort en prenant cette décision aux forceps d’annuler la rencontre. Pas de rencontre, pas de pression. Encore plus simple que la menace exprimée de convoquer une autre sélection en urgence. Il restait le second match face à la Hongrie. Lui officiel et essentiel aux deux parties. Une annulation, et le Danemark était exclu de la Coupe du Monde, entraînant de facto, une non-qualification pour les JO de 2020. Remettant les danoises sous les projecteurs de l’actualité dans quatre ans, en 2021 pour le prochain Euro, avec un travail de qualification à réaliser au préalable.

Ce second match, les danoises l’ont joué. Donnant un peu moins de poids à leurs positions.

En explosant la Hongrie (1-6) avec un but de Sorensen, un triplé de Troelsgaard, un but de Nadim et de Harder, les joueuses emblématiques de la campagne de l’Euro, ont rééquilibré cette balance en maintenant la flamme de l’exploit (vice-championne d’Europe) toujours vivace dans la population danoise, peu habituée à pouvoir gagner des titres, tant chez les femmes que chez les hommes (Champion d’Europe surprise en 92).

Heureusement, car les danoises sont dans un groupe difficile avec le voisin suédois (vice-champion olympique 2016) alors qu’elles ne sont que 12è FIfa, même si c’est mieux que la 15è place initiale mais surtout à une portée de la Suède, passée de la 6è place à la 11è. Ce n’est vraiment pas rien puisque les sélectionnées de l’équipe masculine du Danemark ont même proposé de transférer 70.000 € de leur cagnotte fédérale vers celle des féminines.

La proposition a été refusée par la fédération danoise DBU. Son président s’exprimant dans les colonnes du journal suisse « Die Press » du 18 Septembre en en faisant un principe : «  »Il ne s’agit pas seulement d’argent, il s’agit de principes ».

Les revendications danoises sont difficiles à comprendre de manière précise.

Pernille Harder, sur son facebook personnel, a publié une vidéo pour donner ses informations. Voici « la traduction » de ses propos « Bien sûr je suis très triste que je dois faire cette vidéo, qu’elle soit allée si loin, et vous vous demandez peut-être pourquoi nous prenons cette bataille. Nous prenons cette bataille pour les anciens joueurs de l’équipe nationale qui ont commencé cette bataille, nous le prenons pour nous-mêmes, et ensuite nous la prenons, avant tout, pour les jeunes joueurs qui sont l’avenir de l’équipe nationale.

Et quelle bataille est-ce qu’on prend ? Que demande-t-on à DBU ? Nous sommes exigeantes, sur des revendications préalables pour que nous puissions devenir de meilleurs joueuses de football. Il ne s’agit pas de devenir riche, il ne s’agit pas d’énormes sommes d’argent. Il s’agit de ne pas être forcé d’avoir un travail, de temps plein ou de temps partiel, ou de faire des études. Si nous n’avions pas toutes ces choses à penser, nous pourrions nous concentrer 100 % sur le football, et alors le potentiel que nous avons montré aux Pays-Bas .. jusqu’où pourrait-il nous mener ? Nous voulons un bon encadrement quand nous sommes avec l’équipe nationale. Je souhaite que ma fédération soit à la hauteur des valeurs de la société danoise.

Malheureusement, ce n’est pas ce que j’ai vu dans les négociations, mais j’espère qu’elle viendra. Il y a toujours des possibilités de changement. Certaines parties de DBU ont indiqué certaines ambitions. Jesper Møller nous parle à propos de quelques ambitions très bonnes et ambitieuses pour l’équipe nationale que nous, les joueuses nationales, nous partageons.

Mais encore une fois, les actions que j’ai vues dans les négociations ne sont pas à la hauteur de ces ambitions. Je veux juste dire que nous sommes prêts à tout donner sur le terrain. Nous sommes prêts à tout donner pour réaliser ces ambitions. La question est, si vous êtes prêt DBU ? J’espère bien 🙂

Le football voit trop le football féminin avec une approche purement libérale et économique. Il faut une régulation.

Pour ma part, je crois que la réussite danoise à l’Euro a donné de l’ambition aux joueuses internationales qui voient la possibilité de réussir dans les compétitions officielles alors qu’elles jugent, notamment avec leur expérience dans les clubs étrangers, que ce qui est fait actuellement par la fédération danoise, ne leur permettra pas d’atteindre cet objectif, qu’elles voient comme réalisable et possible.

Dans ce cadre, la légitimité sociétale et juridique de l’égalité entre l’homme et la femme (les joueuses) -le football féminin, avec ce raisonnement, est gagnant- se confrontent à la légitimité économique (DBU) d’un marché libéral qui fait opposer l’offre et la demande, en s’équilibrant sur un prix d’équilibre, intégrant la notion de rareté comme outil d’inflation ou de déflation.

La rareté est un propulseur d’inflation si le produit ou service est intéressant. Il est un propulseur de déflation s’il intéresse peu de monde. Le football féminin, en a conscience, intéresse bien moins de monde que le football masculin. Avec ce raisonnement, il n’est pas gagnant.

Quand deux positions sont éloignées car elles n’utilisent pas le même prisme, normalement, pour équilibrer et encadrer, on a besoin d’un régulateur. Souvent l’Etat ou une fédération.

Tant qu’on aura pas réfléchi à une organisation régulatrice, on créera un gap important et excessif entre le football masculin et féminin en lui donnant une réalité économique qui deviendra un gouffre qui pourrait être le tombeau lointain du football.

A l’heure du sociétal et des réseaux sociaux, ceux qui auront l’argent ne seront certainement pas les plus gagnants. Il y a bien moins de monde sur Terre qui aime le football qu’il n’y en a qui préfère l’Art, la Culture, la musique, le sociétal, les valeurs. Tout cela étant des terrains d’égalité entre les hommes et les femmes dans un monde peuplé de 55% de femmes pour 45% d’Hommes, environ.

On peut résoudre ponctuellement le problème avec des poussées « d’acnée » ponctuelles ; où aller vers l’intégration du féminin dans le modèle, en acceptant l’idée, que le sport est un marché qui ne peux exclure la gente féminine, dans ses actrices comme dans ses consommatrices. Et donc, ouvrir la route du football, tout en créant une autre voie alors qu’actuellement, on est plutôt sur des chemins de traverse, avec trop peu de cadres régulateurs et sécurisants pour les parties en présence.

Gianni Infantino (Président de la FIFA), à ma question sur la professionnalisation du football féminin, m’a répondu « on a déjà extourné les dépenses faites dans le football féminin pour le calcul du Fair Play financier des clubs masculins » se rappelant ses origines de dirigeants de l’UEFA pour finir par l’idée « d’une Ligue Mondiale ». On a senti, dans les réponses du Président de la FIFA, tout l’anachronisme du football féminin.

Une réalité de marché de consommatrices, un manque de consensus ou de projets sur la construction de ses acteurs économiques.

Est-il possible qu’il y ait des gens intelligents qui proposent une régulation intelligente, missionnée à cet effet ?

William Commegrain lesfeminines.fr