Dès les premiers mots, j’entraîne Jean-Louis Saez dans l’euphorie d’une seconde place. Il joue l’ignorant et rigole en ramenant tout cela à de l’actualité qui pourrait entraîner une autre actualité : « il va certainement y avoir appel ».

Lorsqu’à la fin des 45 minutes de notre discussion, le coach de Montpellier, qui vient de se retrouver, par un coup de baguette réglementaire, à la seconde place du championnat, acquiesce à mon sentiment : « Montpellier, .. tranquille, mais prêt à bondir ! » en accompagnant le commentaire de la manière suivante : « en sport, il faut de l’humilité mais il faut aussi ne pas manquer d’ambition ».

C’est ainsi que je comprends cet ami à l’accent « occitan » qui prendra ce qu’il a à prendre, sans animosité mais avec certitudes et compétitivité, si l’opportunité se présente. Match après match, avec une vérité qui se répète à chacune de ses réflexions, dite comme non dite : « j’ai un bon groupe, et il peut progresser individuellement comme collectivement ».

Progresser. Troisième, hier. Deuxième, aujourd’hui. Demain, qui sait ? Souvenez-vous de mon article, Sofia Jakobsson est la meilleure buteuse à cette mi-saison. En général, cela désigne le champion. C’est une statistique qui a une signification. Qui sait ? J’aurais le plaisir de la bonne anticipation.

Lesféminines.fr Quelle est ta sensation sur ce premier parcours ?

Jean-Louis Saez (Montpellier). On se retrouve dans cette position à la trêve. C’est quand même appréciable, mais maintenant, il ne faut pas que l’on s’endorme. Au contraire et je pense que mes filles peuvent monter encore en puissance et faire encore des progrès.

Lesfeminines.fr C’est d’ailleurs la nouveauté de Montpellier de cette année où l’on sent qu’elles peuvent s’améliorer et faire une meilleure performance !

Jean-Louis Saez (Montpellier Hsc). Oui, on sent que c’est plus difficile pour nos adversaires. Cela veut dire que l’on arrive à progresser dans un championnat qui est, lui aussi, en progrès. Donc cela veut dire que sur cette première partie de championnat, on a bien appris, même si j’avais peur -un petit peu- sur la possibilité d’avoir des leaders et petit à petit, -je crois- les filles sont de plus en plus présentes et j’apprécie cela.

Lesfeminines.fr Je trouve que tu as réussi quelque chose de difficile en mariant les mentalités françaises avec les mentalités européennes. Tu n’as pas connu, comme au PSG au début, cette difficulté d’intégration des étrangères au jeu et à la mentalité française. Tes filles sont, avant tout, montpelliéraines.

Jean-Louis Saez (Montpellier Hsc). Il est vrai que les filles étrangères (Suédoises, néerlandaises, américaines, belges) qui sont chez nous se sentent bien dans le championnat français. Elles sont françaises quelque part, Montpelliéraines et défendent aussi l’Occitanie. Il y a un effort du club pour les intégrer au mieux et c’est une grosse difficulté.

Ce n’est pas tout de faire un recrutement. Derrière, il faut accompagner. C’est une logistique assez lourde que d’accompagner une étrangère. C’est la force de Montpellier sans être forcément celle de Jean Louis Saez. Le fait d’être passé par le Club, je suis imprégné de cela et je trouve que le Club fait beaucoup pour ces joueuses-là. Ce n’est pas une signature et après « débrouille-toi ».

Les féminines.fr Tu situerais l’impact de l’accompagnement dans la réussite d’une signature étrangère ? 50-50 ?

Jean-Louis Saez (Montpellier Hsc). C’est ce que j’allais te dire. Au moins cela ! Si ce n’est pas plus. Un footballeur a besoin d’être bien dans sa tête. Pour recevoir, il faut être capable de donner. Et moi, j’ai un retour d’investissement à 100% de la part de ces filles-là. Il y a quelque chose qui fonctionne bien chez nous de ce côté … pourvu que cela dure !

lesfeminines.fr Dis moi, souvent les coaches d’équipes féminines me parlent de l’esprit d’équipe pour réussir quand les coachs de footballeur masculin sont plus dans la performance individuelle, réussie ou non, des joueurs. Est-ce qu’il n’y a que l’esprit d’équipe pour réussir en football féminin ?

Jean-Louis Saez (Montpellier Hsc). J’ai le même fonctionnement avec les garçons. Je suis resté douze ans à Arles en D4 et D3 nationale. Je prônais toujours l’esprit d’équipe. Après, chacun a la liberté de s’exprimer avec un cadre que je fixe, et les joueuses s’expriment. Et c’est vrai qu’en gagnant en talents, le cadre est meilleur pour s’exprimer.

Mais, il n’y a pas de bonnes joueuses individuelles. Il y a une bonne joueuse qui va pouvoir s’exprimer dans un bon collectif. Quelqu’un qui « finit » va avoir besoin d’une joueuse qui l’alimente et pour cela, il faut une défense qui récupère le ballon dans les bonnes zones et qui soit efficace dans les passes. J’ai connu de grands buteurs qui ne marquaient pas car ils n’avaient pas de ballons. On est dans un sport co. et l’esprit d’équipe est important.

Après, j’attache de l’importance à la valeur individuelle de mes joueuses mais mon travail, c’est de les faire progresser au quotidien, individuellement et collectivement et qu’elles puissent donner le maximum dans un cadre qui est libre. Je leur laisse beaucoup de libertés mais dans un cadre qui est fixé par le coach.

lesféminines.fr Quelle est la progression de tes joueuses ? Je pense à Laura Agard, oubliée pendant longtemps et revenue pour être aux portes de l’équipe de France. Est-ce que tu as vu d’autres joueuses progresser de manière intéressante depuis trois saisons ?

Jean-Louis Saez (Montpellier hsc). Cela marche par étapes. Plus elles entrent dans l’âge, plus elles gagnent en maturité. Si Lyon a dominé pendant longtemps le championnat c’est que des Abily, Le Sommer, Thomis, sont arrivées à maturité. C’est quand même des garanties.

Pour Laura, elle a gagné en maturité et a compris certaines choses et ce n’est pas Jean-Louis Saez qui l’a formé. C’est le fait qu’elle a compris, à un moment, qu’il lui manquait certaines choses. C’est d’ailleurs ce que je dois régler avec des jeunes joueuses de 19-20 ans qui doivent franchir certains paliers.

Il faut être là pour les accompagner, sans brûler les étapes et en même temps,  plus on est exigeant dans les résultats, plus on est obligé d’attendre encore plus de ces joueuses. C’est là, où on revient à l’individu. Le coach a besoin d’individualités pour avoir des résultats élevés.

Dans le même temps, je pense à Sandie (Toletti) qui doit avoir gagné trois, quatre ans en une année. C’est important qu’à vingt et un ans, elle ait quelques années d’avance et je crois qu’aujourd’hui, elle fait une saison accomplie même si encore, elle a une grosse marge de progression.

Sakina Karchaoui. Aujourd’hui, elle a 20 ans. En deux trois ans, quelle progression ! Monter en équipe de France, c’est un fait. Il y en a quelques une qui sont montées sans revenir. Monter et y rester, il faut franchir des paliers et elle a compris qu’il fallait travailler pour y rester.

(puis réfléchissant pour conclure) J’en ai plein qui sont en train de passer des caps. Cela va les aider à franchir ces caps ! Marion Romanelli est revenue pleine de confiance de sa Coupe du Monde U20. Thomas, après son prêt en Suisse.

L’apport de joueuses suédoises a été capital pour moi, avec cette rigueur et ce professionnalisme qui sont ancrées en elles. En dehors du terrain, la récupération, la musculation. La performance. Des athlètes.

Après il n’y a pas que des réussites. D’autres vont partir pour rebondir ailleurs. On est là pour les accompagner. La vie est faite d’expériences, à droite ou à gauche. Si on est pas bien dans un groupe, il faut aller dans un autre et même le coach, il s’en ira et laissera sa place à quelqu’un d’autre avec des fondations qui sont là. Tournées vers la performance.

Lesfeminines.fr Tu as recruté en qualité avec la suédoise qui a marqué les deux derniers buts de la Suède au JO de Rio (face à l’Allemagne et les USA). C’est une cliente ! Tu as recruté Janice Cayman pour apporter quelque chose sur le couloir droit. C’est pour une place européenne ou pour renforcer ton groupe dans une compétition qui est très concurrentielle en haut du tableau ?

Jean-Louis Saez (Montpellier HSC). Je dirais .. (tu ne veux pas me répondre ! rires). Non, je réfléchis. Il y a plusieurs choses. Il y a le fait que Montpellier veut exister dans la durée. Donc, aujourd’hui, on tourne sur un effectif d’une vingtaine de joueuses et on veut travailler en fonction des opportunités et on se cale sur les règles du foot féminin avec des championnats nordiques qui se terminent à notre trêve ce qui pourrait donner plus une politique de recrutement à la trêve qu’en fin de saison comme chez les garçons.

Janice a terminé le championnat américain, Stina Blackstenius le championnat suédois. En prenant des joueuses comme cela, on peut encore stabiliser l’équipe sur trois, quatre ans. On n’est pas que sur le court terme, le coach veut des résultats tout de suite mais on doit aussi préparer l’avenir du club et si demain je ne suis plus là, le club aura une stabilité en ayant anticipé des départs

Il ne faut pas être en retard. Decker, (néerlandaise) on l’avait pris en anticipant le départ de Rumi (championne du monde Japon 2011, vice-championne olympique 2012). L’anticipation, c’est ce qui fait la force des  clubs dans la durée et permet de prendre un peu d’avance sur les autres. C’est ma vision.

Et puis sur le plan individuel, cela renforce la valeur du groupe. On peut donc penser qu’on l’on peut être plus fort sur la deuxième partie et en même temps j’ai envie de dire à ceux qui pensaient que l’on avait pas bien recruté en perdant Utsigi, Alves, Asseyi et Gadéa, on s’affaiblissait ; on a montré que l’on était dans quelque chose qui était fort avec une continuité dans la qualité de notre travail.

C’est une bonne satisfaction et je vais te dire que je n’ai pas envie qu’on s’arrête là !

lesfeminines.fr. C’est vrai que l’opportunité est énorme de pouvoir même devenir champion ?

Jean-Louis Saez (Montpellier). On est dans une situation qui est confortable à mi-championnat. On avait rien affiché et on voulait être troisième dans ce championnat. Maintenant, ce n’est pas parce que l’on a deux ogres devant nous, le meilleur club du monde féminin, Paris finaliste de l’avant-dernière Ligue des Champions, cela serait prétentieux de penser à mieux ! Mais maintenant qu’on y est, les filles sont capables de faire mieux et beaucoup plus et peut être d’arrêter d’avoir des complexes.

Même si je pense qu’il faut de l’humilité dans le sport, en même temps, il n’y a pas besoind e faire de complexes. Le résultat d’un match ne doit pas se faire sur cela mais sur la valeur d’un match. C’est vrai que l’on est pas passé loin à Paris (1-0), à Lyon (2-1) et en même temps, je pense que mon équipe va progresser sur la régularité mais sur la possibilité d’apporter encore plus.

lesfeminines.fr Elles doivent être très motivées car c’est inattendu et c’est une opportunité qui ne peut pas se représenter de manière cartésienne avec aussi d’évidence que cela.

Tu sais, l’année dernière, on était second à la trêve. Je ne suis pas un entraîneur de coup. Je pense que le métier d’entraîneur c’est de faire progresser son groupe et ses joueuses. Je n’attends qu’une seule chose, c’est que mes filles continuent à progresser et si elles progressent à l’allure où elles vont, il est clair que l’on pourra compter sur nous.

Je vois que Lyon et Paris se sont renforcés. En moyenne d’âge, Lyon s’est rajeuni à contrario de Paris qui tourne à 27-28 ans, Lyon, 26 ans. Nous, 23-24. La maturité des filles est un point clé dans la gestion des matches, et dans la durée. Il y a beaucoup de filles de 28-32 ans qui connaissent les rouages du métier et qui savent aborder les matches. Il y a des jeunes qui pointent leur nez comme Geyoro mais avoir des filles qui ont l’expérience des gros matches et des places, cela aide.

Moi, je vais jouer sur la surprise, sur l’insouciance de la jeunesse même si je commence à avoir quelques cadres, comme Decker, Sembrant, Agard, Tonazzi qui portent le reste du groupe avec un bon amalgame entre ces générations là.

Lesfeminines.fr J’ai l’impression que le championnat de France intéresse les joueuses étrangères et on se trouve avec un niveau bien plus relevé qu’avant. Avec tes contacts à l’étranger, ressent-tu cela ?

Jean-Louis Saez (Montpellier). Pour le moment, oui. On a un peu d’avance et j’espère qu’on va le garder. Le standing de Lyon, la vitrine de Paris font beaucoup. Cela nous a donné beaucoup d’avance. les autres clubs se rapprochent et des équipes comme Bordeaux, Marseille, Saint-Etienne se mettent à se dire que c’est possible. Il n’y a pas que Lyon qui peut le faire et cela peut donner envie aux clubs d’y aller.

mais l’avance que l’on a, on peut le perdre car des pays comme l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie commencent à se réveiller et on le sent un peu et il faut garder cette avance qui va venir par la qualité et la valeur du championnat français qui pourrait permettre en 2019, à l’équipe de France, de gagner la Coupe du Monde en France.

Les clubs bossent bien. Partout. Soyaux, Albi, Rodez. On voit la difficulté de Juvisy. Ce n’est pas ancré et le championnat est de qualité, je pense. J’ai vu Metz tenir la dragée haute face à Lyon avec un 3-0. Il y a quelques années, cela aurait fini par une dizaine de buts.

Je sens une ouverture au niveau des garçons aussi.

Lesfeminines.fr Au niveau de la famille Nicollin, tu les sens plus interpellés où ils suivent un mouvement qu’ils connaissaient déjà ?

Jean-Louis Saez (Montpellier). L’accompagnement est lié aux résultats. C’est la règle en sport. On peut donner en fonction de ce que l’on va recevoir. Il y a un accompagnement de la part de ma Direction mais ils sont en attente de voir si le championnat peut passer à la vitesse supérieure, car cela fait de belles affiches avec Girondins de Bordeaux, l’OM, le PSG et cela peut donner un attrait au championnat et aux filles qui obtiennent de meilleures conditions de travail pour continuer à progresser.

Si on veut suivre le modèle de Lyon, on est obligé d’aller vers une situation professionnelle où cela devient un métier. On est obligé de passer par là. On ne peut pas être championne du monde dans deux ans avec des filles qui travaillent en journées et qui vont s’entraîner le soir.

Lesfeminines.fr Quel va être le revenu moyen ?

Jean-Louis Saez (Montpellier). Mais tu sais le double projet, on le fait aussi. Toutes mes filles de moins de 22 ans sont soit en BPJES, soit en école de Kiné, soit à la fac. Elles s’entraînent le matin et vont en cours dans l’après-midi. Elles font des études payées par le club et pour des parents, c’est sécurisant.

Ensuite de gagner de l’argent comme à l’OL. Tous les clubs ne sont en mesure de le faire et nous à Montpellier, le premier car il n’y a pas de retombées. Il faudrait un championnat qui plaise mieux et peut être derrière, il y aura des retombées économiques. Ce n’est pas le cas. Avec Montpellier, on est pour 50% de nos joueuses, dans un double projet comme les clubs amateurs.

Lyon est allé un peu vite, voire trop vite peut-être, mais en même temps, s’ils peuvent le faire, pourquoi pas ! Tout le monde n’a pas ces moyens là, mais regarde-nous, on peut exister quand même.

lesfeminines.fr Je sens que ton groupe est prêt à éclore et à faire quelque chose !

Jean-Louis Saez (Montpellier). Le jour où on le fera ; alors peut-être que je partirais sur un nouveau challenge. On ne va pas s’enflammer, on ne va pas se mettre la pression, on veut continuer en restant comme on est ! Voilà !

Lesfeminines.fr Le match contre le PSG (prochaine journée de Championnat) ? Comment le vois-tu ?

Jean-Louis Saez (Montpellier). c’est un tournant. Avec la réception de Juvisy et l’Olympique Lyonnais, c’est un tournant. Ne faisons pas comme la saison dernière où on s’était mis trop de pressions. Jouons notre jeu. Il nous reste une semaine de travail. c’est tôt, c’est tard.

Cela sera quand le championnat l’aura voulu. A nous d’être prêt. Je pense que mes filles seront prêtes et je vais les préparer pour qu’elles fassent un bon match. Après le cours d’un match .. un ballon entrant, un ballon sortant ? Croire en nos chances et arrêter, comme par le passé, de regarder Lyon et Paris comme des équipes intouchables.

Je pense qu’il faut avoir de l’humilité, mais ne respecter personne.

Lesfeminines.fr Et Alex Morgan. Qu’en pense-tu ?

Jean-Louis Saez (Montpellier). J’ai vu le Président Aulas qui l’annonçait comme Zlatan chez les garçons ! Ou Beckham ! Aulas, il savait que c’était une opportunité et une bonne chose. Cela rentre le fait de mettre en avant le championnat français. Si elle a cette aura là, je connais la joueuse mais je pense que pour le championnat français, c’est une excellente vitrine.

Tu le disais, le championnat français attire. Montpellier attire de bonnes joueuses et Lyon a été capable de prendre une des meilleures joueuses au monde. Tout le monde en bénéficiera.

Lesfeminines.fr Tu as fini tes courses pour janvier ?

Jean-Louis Saez (Montpellier). On devrait arrêter là. On va avoir une ou deux joueuses qui vont partir. C’est bien que les routes se séparent pour des filles qui ont eu peu de temps de jeu et qu’elles puissent continuer à avoir une progression pour prendre du temps de jeu. J’ai des jeunes joueuses d’U19 prometteuses à aguerrir comme j’ai fait avec Sakina Karchaoui ou Toletti. Si elles restent, c’est aussi très bien et elles peuvent rendre service. Vingt joueuses, c’est très bien et alors on ouvrira la porte aux jeunes plutôt en fin de saison pour qu’elles puissent éclore.

William Commegrain lesfeminines.fr