A quelques jours de la demi-finale aller de la Women’s Champions League 2016 entre l’Olympique Lyonnais qui recevra le Paris Saint Germain dimanche 24 avril à 15h00 à Gerland ; je vous propose de prendre connaissance de l’interview faite début janvier de Sandrine Mathivet, seule femme à avoir coaché à ce stade de la compétition avec un club amateur : le Fcf Juvisy.

C’était en 2013. Défaite (3-0) à Lyon, les essonniennes n’avaient rien pu faire face à l’OL à domicile (1-6), déjà double championne d’Europe (2011 et 2012) et vainqueur de la Mobcast au Japon (2012), qui est le championnat du monde des clubs (non officiel). Certainement la meilleure équipe au monde cette saison même si elle perdit la finale face à Wolfsburg, la privant d’un triplé européen historique.

Intéressée à reprendre une équipe pour la saison à venir (information communiquée avec son accord) ; il est intéressant de voir comment elle avait traduit le mot « ambition » pour le communiquer à ses joueuses tout au long de la saison avec les moyens limités d’un club amateur qui s’est frotté avec succès à des clubs professionnels européens (FC Zurich/FC Göteborg) et qui avait réussi à prendre la seconde place du championnat.

Q. Sandrine Mathivet, que signifie le mot « ambition » pour Vous ?

C’est quelque chose que tu dois avoir si tu veux rester au haut niveau. C’est quelque chose qui te permets d’avancer. Quand on est ambitieux, il faut aller de l’avant. Il y a un parallèle avec ton ambition personnelle, ton ambition sportive. Il faut mettre tous les moyens en œuvre pour atteindre ton ambition.

Q. L’ambition doit-elle tenir compte de tes moyens ?

Il faut l’adapter aux moyens que tu as. Tu peux être champion de district mais n’attend pas d’être champion de France. L’ambition doit te permettre d’aller plus loin que ce tu pensais mais tout en tenant compte des paramètres qui l’entourent.

Q. L’ambition, c’est donc avant tout, un bon diagnostic des moyens

Maintenant tu peux avoir un bon diagnostic des moyens et ne pas avoir d’ambition. L’ambition, c’est ce qui te permet de toujours te remettre en cause. De ne pas rester sur ce que tu as fait et pour cela, je pense que c’est un moteur.

Il faut que cela soit toujours dans un esprit positif et pas comme le faisait Bernard tapie avec son émission des années 80 « Ambition » où c’était d’écraser tout le monde. Ce n’est pas le but, le but c’est de permettre d’atteindre un objectif, de s’épanouir, de mettre au service d’un collectif, un ensemble de capacités.

L’ambition doit être quelque chose de noble. Pas pour écraser les gens.

Q. Dans ce que tu viens de dire, il y a l’ambition individuelle et l’ambition collective. Jean-Michel Aulas m’avait dit lors d’un ITW à la sortie d’une zone mixte : « quand vous avez un projet, le plus important c’est de faire partager le projet ». Toi qui as fait une demi-finale européenne (Juvisy-OL en 2013) qui est jusqu’à maintenant la meilleure performance de ce club, quelle a été la part de l’ambition individuelle et celle de l’ambition collective ?

Quand j’ai repris le groupe, pour moi l’ambition était naturelle. Celle d’aller au bout. C’était mon ambition individuelle car quand tu es coach, la reconnaissance que tu peux avoir n’est faite que par tes résultats et le fait que tu atteignes tes objectifs. Tu ne prends pas le temps de regarder les compétences mises en œuvre pour réussir. Pourtant des fois, tu mets tout en œuvre correctement et cela ne réussit pas. Pour quelles raisons, c’est encore autre chose. Mais on oublie un peu tout cela.

Pour Juvisy, l’ambition que j’avais a été partagée avec tout le staff. Tu aurais pu avoir des gens « on fait ce que l’on a à faire et puis basta ». Alors que non. Tout le monde avait l’ambition de faire quelque chose de beau.

Q. As-tu un exemple concret de cela ? Quelqu’un que tu as vu et qui a fait quelque chose qu’il ou qu’elle n’aurait pas fait autrement ? Autant on peut voir la performance sportive de la joueuse, autant on a du mal à percevoir la performance sportive du staff.

C’est dans le travail qui est accompli et la rigueur que l’on peut apporter à son travail. Je pense à la préparatrice physique (Sophie Guyennot) qui faisait des choses innovantes avec le peu de moyens qu’elle avait et qui était toujours très pointue dans ce qu’elle proposait avec cette volonté de toujours se remettre en question en fonction de son observation du groupe et de la joueuse pour être en adéquation avec la forme physique et mentale de la joueuse.

Q. Tu es en train de dire que l’ambition d’un staff se matérialise par la qualité de l’organisation. Les joueuses le sentent et réagissent à cela.

Ah oui. L’organisation mal faite où tu mets deux heures à ne rien faire. Etre ambitieux, c’est mettre les choses en place pour atteindre un objectif. Sinon, ta séance, elle capote et là tu attaques sur la motivation de la joueuse et c’est mort. Je prends aussi l’exemple de l’entraîneur des gardiennes de but qui avait une approche sur un travail psychologique avec des exercices mis en place que j’avais rarement vu.

 C’était cet ensemble que l’on essayait de mettre en place, avec nos moyens et le manque de temps car tout le monde travaillait, et cela c’est quelque chose qui nous a vraiment ennuyé car on savait qu’il y avait des filles pour lesquelles on pouvait tirer le meilleur d’elle-même et là, on ne pouvait pas car on ne les avait pas tout le temps.

Q. Tu penses à quelle joueuse particulièrement ?

A toutes. Elles pouvaient faire plus mais elles n’en avaient pas les possibilités car elles travaillaient. Toutes avaient plus de compétences à mettre à disposition.

Q. Est-ce que l’ambition ne demande pas quelque chose de plus pour la développer que le fait de l’avoir (1),  de l’organiser (2) et qui est du domaine de la cohésion (3).

Il est primordial pour moi de choisir son staff. Il faut que l’on soit tous sur le même fonctionnement. On peut avoir des idées différentes, tout en gardant l’échange pour progresser mais le coach principal doit choisir son staff car s’il a une idée en tête de la façon dont il veut faire les choses, il faut qu’il y ait une adéquation.

Il est primordial que le staff ait confiance l’un dans l’autre et que tout le monde reste à sa place ; un entraîneur de gardien comme l’entraîneur principal qui n’a pas toutes les compétences et qui ne doit pas intervenir dans certains domaines car je défie quiconque d’avoir toutes les compétences requises. Préparateur, entraîneur gardien de but, kiné, dirigeant.

Cela et la confiance dans le staff, l’échange, l’ouverture d’esprit est importante.

Q. Tu es en train de me dire que le staff a une influence plus importante que les joueuses. C’est à dire que le staff a une influence sur les joueuses et ce ne sont pas les joueuses qui ont une influence sur le staff.

C’est un échange. Pas nécessairement verbal. C’est un regard. Un sentiment. Un comportement. Quand tu es dans le staff, tu as un devoir d’observer les joueuses. D’écouter ce qu’elles disent mais aussi de regarder tout ce qu’elles ne disent pas. De ce qui est du domaine du non-verbal. Si les filles n’ont pas confiance dans le staff, c’est impossible de demander à des joueuses de faire ce que nous voudrions qu’elles fassent.

C’est primordial qu’elles sentent que tu es avec elles. Il faut qu’elles sentent que tu peux autant souffrir qu’elles sur le bord du terrain ; d’ailleurs quand tu vois des entraîneurs qui sont virés au bout de 6 mois, c’est qu’ils n’ont pas réussi à créer ce lien avec les joueuses.

Q. C’est vrai. Par exemple La finale américaine du Mondial. On a eu le sentiment que toutes, l’équipe, le staff, avaient envie de la gagner.

Toutes, d’avoir cette ambition, en même temps, d’aller la chercher. Ton courage, ton ambition, à ce moment là, va pallier à certaines défaillances footballistiques.

Les américaines en finale, pour moi ce n’était pas une ambition. C’était plus, c’était une vérité. Quand elles sont parties comme cela, pour elles, c’était juste normal qu’elles soient ainsi et il eut été anormal du contraire. L’ambition, quelques fois, c’est le rêve. Là non.

Cela ne pouvait pas être autrement. Et cela, je vais te dire, je l’ai vécu en tant que joueuse. (Replongeant en arrière) Il n’aurait pas été normal .. cela devait se faire d’être championne de France. De gagner ce match. On ne se l’est pas dit mais rien ne nous faisait peur. On savait qu’on allait le gagner car on avait tout fait pour.

C’était une vérité que tu avais en toi.

Tout à fait. On ne se l’est pas dit mais de par le comportement de tes coéquipières, sur un ballon où tu ne te serais pas arraché, ce jour là, tu le faisais. Ce jour là, où tu vois la fille qui n’est pas forcément physique, rentrer dedans. Et là, tu te sens portée. Une vérité s’impose. Cela ne peut pas être autrement. C’est une sensation de puissance vraiment spéciale. Rien ne pourrait t’arrêter.

A moins que l’équipe adverse ait la même chose.

C’est vrai, mais d’avoir cela. J’ai l’impression que l’équipe adverse le sent. On doit avoir des ondes.

C’est un message. Après, il faut le maintenir et ne pas se laisser bercer par cette sensation euphorisante qui est proche du bonheur. Ne pas oublier que tu fais un match, et que le bonheur, c’est après.

C’est unique. C’est personnel et en plus de le partager avec l’équipe. C’est incroyable.

C’est là où je trouve que les japonaises ont été extraordinaires dans cette finale. Etre menées 0-4 en finale d’une Coupe du Monde et arriver à marquer deux buts sans s’effondrer. Il en faut du mental. Un sentiment d’injustice.

Surtout en mettre deux aux USA. C’est pas l’équipe de « TataOuine ! » Normalement, tu peux en prendre huit sur ce coup là. Tu te dis que dans leurs têtes, il y a eu un moment de révolte et finir par se dire que 5-2, c’est le niveau qui reflète la différence entre les deux équipes à ce moment là. Pour finir quand même par quelque chose de difficile mais d’acceptable. Huit aurait été intolérable.

Huit, en football féminin. C’est possible.

Elles peuvent être tellement dans le brouillard à ce moment là que même les failles de l’équipe adverse, elles ne les voient pas.

Retour sur Montpellier de début Janvier. Comme tous les matches à enjeux, les caractéristiques restent les mêmes pour l’Olympique Lyonnais face au Paris Saint Germain.

Là, il va y avoir Montpellier PSG. Un beau match et certainement un des plus beaux matchs du championnat car il y a beaucoup d’inconnues.

Un des plus beaux, je ne sais pas. Mais un des plus suspenses. La problématique de ce match, en dehors des différences de budgets, cela va être de savoir faire jouer les unes avec les autres et les unes pour les autres. Avec ou sans objectif de faire gagner le club, mais avec celui d’avoir plaisir à jouer avec ses copines pour gagner ensemble, dans un match où rien ne dit que tu vas gagner.

C’est la qualité de la cohésion « vers l’objectif commun » qui sera le socle de la victoire. Les deux l’auront. L’adversaire, s’il veut gagner, devra être plus fort que cela.

William Commegrain lesfeminines.fr

  • ITW début Janvier 2016